Dans l’ombre de Matvei Michkov, deux joyaux russes – TVA Sports

Le cas Matvei Michkov a fait l’objet d’une robuste couverture médiatique en Amérique du Nord, si bien qu’il a fait de l’ombre à deux autres joyaux russes qui, dans des circonstances normales, auraient pu rêver à une sélection dans le top 10, voire le top 5, au repêchage de la Ligue nationale de hockey qui aura lieu les 28 et 29 juin à Nashville. 

Le défenseur Dmitri Simashev et l’attaquant Daniil But devraient faire saliver les partisans d’équipes de la LNH sur les réseaux sociaux, mais ils suscitent actuellement une relative indifférence. 

À l’exception du contrat valide pour encore trois ans en Russie, les mêmes facteurs qui nuisent à la candidature de Michkov mettent des bâtons dans les roues de Simashev et But : il est difficile de les voir jouer en personne et d’établir un contact avec eux. 

Cela n’a pas freiné les ardeurs du directeur du service de recrutement HockeyProspect, Jérôme Bérubé, qui a classé Simashev et But cinquième et septième respectivement sur sa liste finale en prévision de l’encan amateur de 2023. Dans le domaine public du recrutement, HockeyProspect offre une véritable bible du repêchage, un cahier de 344 pages contenant d’innombrables citations de recruteurs de la LNH et des rapports détaillés sur une centaine d’espoirs. 

Attaquons-nous d’abord à l’énigme que représente Simashev. Pourquoi lui accorder le cinquième rang alors que la Centrale de recrutement de la LNH lui attribue seulement la 19e position de son classement européen? Les autres listes sur la sphère publique ne le classent guère mieux, à quelques exceptions près.

«C’est un défenseur assez unique, s’émerveille Bérubé au téléphone. Il n’y a pas de gars de 6 pieds 4 pouces qui patinent comme lui. Les défenseurs comme ça, quand tu peux les avoir dans ton équipe, tu ne les échanges pas. Il n’est pas physique comme Niklas Kronwall; il ne domine pas physiquement avec de grosses mises en échec, mais il est très dur à affronter parce qu’il ne donne pas beaucoup d’espace. Avec son coup de patin, il couvre énormément de glace en zone neutre et en zone défensive.»

Avec sa portée, ses mouvements fluides, son intelligence et son éthique de travail, Simashev étouffe le joueur adverse en possession de la rondelle et donne l’impression de lui extirper tous ses talents. Il a cette proverbiale «présence» que l’on retrouve chez les grands défenseurs. 

Il y a un point d’interrogation. On ignore à quel point il est habile offensivement. 

«Je ne sais pas si c’est un défenseur qui aura un impact dans les deux sens, s’inquiète un dirigeant d’une équipe de la KHL sous le couvert de l’anonymat. Excellent coup de patin, bonne lecture du jeu en défensive et il ne laisse pas beaucoup d’espace au joueur adverse. Je l’ai vu piloter un avantage numérique avec efficacité, mais c’était dans la MHL [le circuit junior russe] et il n’était pas un “stud” pour autant.»

Rien qui empêche Bérubé de dormir sur ses deux oreilles. 

«À un certain moment de la saison, il avait un point en quinze matchs et je n’aurais pas pu l’aimer plus, s’esclaffe-t-il. Dans notre premier classement, on l’a mis 11e. On s’est dits : “Mettons les freins un peu là-dessus. C’est sûr qu’on ne mettra pas un gars top 5 s’il finit avec trois points cette année.” À partir du mois de janvier, il a récolté 17 points en 27 matchs.»

Si les listes disponibles au grand public n’inspirent pas le même enthousiasme à l’endroit de Simashev, il y a bel et bien un engouement autour du grand défenseur chez les équipes de la LNH, aux dires de Bérubé. 

«Il y a certaines équipes qui l’ont comme défenseur numéro un sur leur liste, confirme Bérubé. Et il y a une équipe qui m’avait dit en janvier que Simashev était 11e sur sa liste.»

Tout le battage médiatique autour de David Reinbacher a donc laissé un peu pantois notre intervenant. S’il est question d’un défenseur pour les Canadiens au cinquième rang, pourquoi le nom de Simashev n’est-il pas à tout le moins mentionné ou inclus dans l’équation? 

«J’étais comme… voyons? Surtout quand on parlait de Reinbacher. Je me disais : “Ok, personne ne va parler de Simashev? Vraiment?”»

Même s’il est gaucher, Bérubé est convaincu que Simashev comblerait un besoin au sein de la brigade des Canadiens. 

«Ce serait exactement le genre de joueur dont le CH aurait besoin. Regarde les équipes dans la division des Canadiens. Buffalo a Owen Power et Rasmus Dahlin. Detroit a Moritz Seider et Simon Edvinsson. Ottawa a Jake Sanderson. Bref, les Canadiens ont intérêt à se trouver un défenseur élite! J’aime Guhle, mais il n’est pas au même niveau que les défenseurs mentionnés.»

Au final, il y a certaines équipes qui bouderont Simashev pour la simple et unique raison qu’elles refusent de repêcher avec un choix de premier tour élevé un joueur qu’elles n’ont pu voir en chair et en os.

«Certaines équipes sont old school et ne croient pas encore full à ça, le scouting avec la vidéo, explique Bérubé. Même si tu crois à la vidéo, vas-tu faire un choix top 10 basé seulement sur la vidéo? Si Simashev avait joué dans des tournois internationaux et qu’il n’y avait pas de guerre en Ukraine, c’est sûr qu’il sortait top 10. Nous, ça ne nous fait pas trop peur. Depuis le début de la COVID, on utilise beaucoup plus la vidéo qu’avant. On est plus confortables avec l’idée de classer un gars agressivement par vidéo qu’avant 2020.»

Le Tage Thompson russe

Monstrueux attaquant de 6 pieds 5 pouces travaillant d’arrache-pied, Daniil But est l’autre Russe dans l’ombre de Michkov dans ce repêchage. 

Une source dans la KHL le qualifie de «Tage Thompson avec un meilleur tir». Tout comme notre espion, Bérubé l’aime beaucoup. 

«Je l’adore, confie-t-il. Je l’aime depuis l’an passé. On l’a eu dans notre top 10 toute l’année. De bonnes habiletés, bon tir, bon passeur, bonne intelligence. Mais ce qui m’a convaincu avec lui, c’est son éthique de travail. C’est un gars qui travaille extrêmement fort. Il me fait penser un peu à Valeri Nichushkin. Il est excellent dans les deux sens de la patinoire. Je te dirais que la différence entre les deux, c’est que Nichushkin était un meilleur patineur au même âge.»

Il y a de bonnes raisons de croire que But n’a qu’effleuré son potentiel.

«Il n’est pas encore à maturité, s’enthousiasme Bérubé. Il est “raw”. Cela rend son potentiel super excitant pour moi. Dans trois ans, honnêtement, j’ai hâte de voir à quoi il va ressembler. Il a encore un visage de bébé.»

Au septième rang, But est le troisième Russe dans le top 10 du classement final de Hockey Prospect, un fait surprenant quand on considère la situation géopolitique compliquée du pays de Poutine. 

«On a mis par le passé des Russes haut dans notre liste et parfois, en bon québécois, ils nous ont un peu chi* dans les mains, avoue Bérubé. On essaye toujours de trouver pourquoi ça n’a pas fonctionné parce que le talent était là. Par exemple, Vitaly Kravtsov, pourquoi ça ne fonctionne pas avec lui? 

«Dans notre livre, on a des cotes : habiletés, coup de patin, éthique de travail… Je regarde Buut et son éthique de travail est élite. C’est un peu la différence que je vois. Les Russes qui nous ont fait mal paraitre par le passé, ils travaillaient juste assez. But, quand je le voyais faire des replis défensifs, c’était magnifique, c’était de toute beauté à voir. Ce qui m’a convaincu de bien classer But, c’est que son éthique de travail est l’une des meilleures du repêchage.»

Dans cinq ans… 

Forcément, si Bérubé et son équipe ont classé Simashev et But tout près de Michkov au quatrième rang, c’est car ils considèrent que le fossé n’est pas immense entre le prodige et ses deux compatriotes. 

«Oui, parce qu’on pense souvent au hockey des séries, explique Bérubé. Ça a une grosse valeur pour nous. C’est plate, mais Michkov en séries, c’est un peu comme [Artemi] Panarin avec les Rangers. Panarin est incroyable en saison, mais il n’a jamais été capable d’être le meilleur joueur de son équipe en séries. C’est difficile pour un gars à une dimension de vraiment performer en séries.»

Qui sait ce qu’on lira sur les tribunes dans quelques années… 

«Ce n’est pas impossible que Simashev ait une plus grande valeur que Michkov lorsque les deux auront 24-25 ans, concède Bérubé. Ce n’est pas fou de penser ça. Mais je ne suis pas prêt à aller là non plus. Ce n’est juste pas impossible. 

«Honnêtement, ils sont quand même assez proches, mais je n’aurais jamais eu le guts de mettre Simashev ou But avant Michkov. C’est juste que Michkov, au pire, ça pourrait être un Caufield. C’est un marqueur. Il n’est pas parfait ailleurs. Ce n’est pas le meilleur passeur, ce n’est pas le meilleur patineur, ce n’est pas le gars le plus travaillant, mais il va peut-être marquer 40 buts dans la Ligue nationale.»