Gaétan Boucher: un champion jusqu’à la moelle

Il y a plus de 25 ans que Gaétan Boucher n’a pas lacé ses patins pour une compétition. La dernière fois, c’était lors d’une épreuve hors-concours à Calgary en 1997. Malgré les années, l’ADN du champion est toujours en lui.

Le pionnier du patinage de vitesse au Canada n’a jamais perdu une course aux Jeux mondiaux des maîtres toutes distances, que ce soit en 1996 à Québec ou l’année suivante à Berlin, en Allemagne.

«Mais c’était huit ans après la fin de ma carrière. J’étais encore fort physiquement et plus fort que les autres patineurs de mon âge», rappelle celui qui compétitionnera le week-end prochain au Centre de glaces de Québec chez les 65-69 ans, car «c’est l’âge au 30 juin qui compte et j’aurai 65 en mai».

«Si je gagne les 500, 1000 et 1500 mètres, c’est sûr que je vais travailler fort pour ne pas perdre le 3000 m! Mais ça va être dur», avoue-t-il, bien humblement.

Les patins à clap

Rencontré jeudi à l’anneau intérieur qui porte son nom dans le quartier Sainte-Foy après un entraînement durant lequel il a réalisé son meilleur 400 m de l’année, sans trop forcer, Boucher a patiné avec fluidité et puissance.

Mais ce n’est pas gagné d’avance pour le double champion olympique.

Il y a l’âge, une longue période d’inactivité, la condition physique, mais aussi l’équipement qui entrent en jeu. Les patins ont changé depuis le temps. Ils sont aujourd’hui munis de clap.

«C’est plus instable, observe le natif de l’arrondissement de Charlesbourg, dans la Capitale-Nationale. Avant, on poussait avec le talon pour éviter que le devant de la lame ne rentre dans la glace, tandis que maintenant, on pousse avec le bout du pied.»

«C’est une adaptation qui se fait bien quand on va lentement. J’ai passé 30 ans à patiner d’une certaine façon, alors quand j’essaie d’aller vite, l’ancienne méthode revient. Mais je me concentre et ça commence à mieux aller.»

Pas facile pour un technicien comme Gaétan Boucher.

Une note de 1 sur 10

Comme il le faisait quand il était membre de l’équipe nationale, la légende du patin note ses performances.

«À ma première course de l’année, je me suis donné techniquement un 1 sur 10. Il y avait beaucoup de nervosité, comme ça faisait longtemps que je n’avais pas patiné et beaucoup de gens voulaient me voir. J’essayais juste d’aller vite. C’était vraiment un zéro», raconte Boucher avec honnêteté et un calme olympien.

«Malgré tout, ça m’a donné le deuxième meilleur temps au monde [dans sa catégorie]. J’étais déçu, mais je me suis dit que j’avais fait ce chrono en ayant mal patiné. Il y avait un peu de confiance qui s’en venait. Si je patine comme à l’entraînement, mieux techniquement, je vais aller plus vite. La semaine dernière, j’ai fait le meilleur temps au monde sur le 1000 m. Si je me concentre sur le contrôle, la technique, je n’ai pas de raison d’être nerveux.»

Certains aspects sont comme la bicyclette et ne s’oublient pas.

«Le transfert de poids, la force, la poussée, ça va bien. Ça ressemble à ce que je faisais dans le temps. Ce n’est pas parti.»

De précieux conseils

Pour l’aider dans sa préparation, Boucher peut compter notamment sur les conseils d’amis comme Benoît Lamarche, ancien coéquipier aux Jeux de Sarajevo et de Calgary, François Drolet, qui a pris part aux Jeux de Nagano, ou l’entraîneur de l’équipe nationale de longue piste Gregor Jelonek.

Une camaraderie dont s’ennuyait le quadruple médaillé olympique.

«La vie de groupe avec des coéquipiers, ça me manquait. On fait des voyages de vélo, on se fait des soupers. On est une bonne gang. J’ai aussi un peu la même chose avec mes chums de golf dans la région de Montréal. Quand je patinais, on était 24 heures sur 24 ensemble pendant six mois…»

La vitesse

Boucher retrouve également des sensations qui l’ont fait vibrer dans le passé.

«L’adrénaline, le goût de la vitesse… aller à 50 km/h dans un virage […], il faut être en contrôle. C’est le fun. Et il y a le goût de se dépasser physiquement. J’en ai pour mon argent sur la glace! C’est le fun de revenir, d’avoir une routine d’entraînement. C’est difficile, mais ça me manquait», conclut l’ex-olympien.

«Je sais que j’ai une chance de gagner»

Gaétan Boucher sait que tous les regards seront tournés vers lui le week-end prochain. Le champion olympique sera l’homme à battre aux Jeux mondiaux des maîtres toutes distances.

«Pour quelqu’un qui n’est jamais allé aux Jeux olympiques et qui se retrouve dans une catégorie avec un gars qui a gagné, ça doit être une motivation de plus, reconnaît Boucher. J’ai cette pression-là. Mais moi, j’aime ça patiner et je suis très orgueilleux.»

Et l’attention médiatique qu’il reçoit depuis quelques semaines ajoute aussi un certain poids sur ses épaules.

«Mais la pression, c’est moi qui me la mets tout le temps. Les gens disent que l’important, c’est de participer, mais moi, j’aimerais ça gagner. Je sais que j’ai une chance de gagner, lance-t-il avec assurance. Si en novembre ou en décembre, je m’étais rendu compte que le mieux que je pouvais faire, c’est huitième ou 10e, je ne suis pas sûr que je me serais inscrit.»

Enfin en santé

Malgré des problèmes de genoux, Boucher a commencé à penser à un retour sur patins lors de l’annonce de la construction d’un anneau couvert à Québec.

«Si l’anneau avait été là avant, je n’aurais pas arrêté, j’aurais gardé contact [avec mon sport]. Mais venir patiner dans des conditions extrêmes, trop froid, trop de vent, la glace sale à cause du boulevard à côté, ça ne me tentait pas.»

Il a tout de même débuté l’entraînement il y a deux ans sur l’anneau de glace extérieur des plaines d’Abraham. Puis, il a transféré au nouveau Centre de glaces, qui a ouvert ses portes à la fin de l’été 2021.

Mais un problème cardiaque est venu ralentir sa préparation. Il ne pouvait pas y aller à fond. Toutefois, quand une artère bouchée à 90 % a été débloquée en août dernier, il a finalement pu ouvrir la machine.

«On m’a recommandé de ne pas faire de compétition avant février!, relate Boucher en riant. J’ai dit au cardiologue que les championnats étaient à la fin janvier. Il m’a dit que pour une couple de semaines, c’était correct, mais de faire attention.»

Boisbriand-Québec

Chaque semaine depuis septembre, le résident de Boisbriand fait la route pour aller patiner à Québec du jeudi au samedi, et parfois jusqu’au dimanche.

Mais le directeur général d’une corporation qui gère un complexe sportif sur la Rive-Nord de Montréal commence à trouver tous ces voyages épuisants.

«Des fois, j’entre dans l’ascenseur, et je ne sais plus à quel étage je suis parce que je change toujours d’endroit.»

Ce n’est qu’un début

Malgré les embûches, Boucher a toujours la piqûre pour son sport et il aimerait poursuivre l’entraînement et les compétitions.

«Je veux continuer, je veux m’entraîner fort cet été. J’ai perdu à peu près 10 lb depuis le début de l’été. Je patine bien, de mieux en mieux et plus vite. Je ne veux pas que ça s’en aille. Je veux en profiter pendant que je suis capable. Mais on va commencer par la compétition de la semaine prochaine!»

-L’accès aux Jeux mondiaux des maîtres de patinage de vitesse toutes distances, qui auront lieu de vendredi prochain à dimanche au Centre de glaces de Québec, sera gratuit. L’événement accueillera 130 athlètes âgés entre 30 et 88 ans et provenant de huit pays.