Une saveur québécoise au Mondial

Impossible de savoir encore si Gabrielle Carle, Vanessa Gilles, Marie Levasseur ou Évelyne Viens joueront à la Coupe du monde féminine de soccer, mais le Québec est assuré d’être représenté par deux arbitres centrales.

Marie-Soleil Beaudoin et Myriam Marcotte, qui ont grandi dans la région de Québec, ont été sélectionnées parmi quelque 170 candidates à l’international, et 35 seront au milieu de la pelouse du 20 juillet au 20 août, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

«Marie-Soleil, c’est ma mentore, lance Marcotte, âgée de 30 ans, soit 10 ans de moins que sa collègue. Ce qui est le fun au Canada, c’est qu’on n’a pas besoin de chercher bien loin pour trouver des modèles féminins. Il y a Carol Anne [Chénard], qui a pris sa retraite du terrain, mais qui sera à la Coupe du monde comme arbitre vidéo. C’est une grande maître que je regarde évoluer depuis longtemps.»

Marcotte ne veut pas passer sous silence le nom de Sonia Denoncourt, qui a été la première arbitre féminine accréditée par la Fédération internationale de football association (FIFA) en 1994.

«C’est une fierté personnelle d’être sélectionnée, mais aussi une fierté de représenter notre province, notre pays et nos collègues arbitres», a humblement souligné Beaudoin lors d’une entrevue téléphonique avec Le Journal.

On peut sentir un peu plus de nervosité dans la voix de Marcotte, puisqu’il s’agira pour elle d’un premier Mondial senior.

«C’est vraiment un mélange d’excitation et de stress, mais je suis reconnaissante d’avoir cette chance», dit-elle.

La finale dans la mire

Tout comme les joueuses, les arbitres souhaitent atteindre la finale et ce sont les performances sur le gazon qui priment.

«Rien n’est assuré, précise Marcotte, qui aura aussi la fonction de quatrième officielle au Mondial. Ce que la FIFA veut, c’est d’avoir les meilleurs officiels sur les meilleurs matchs. […] Il faut arriver dans les meilleures conditions, bien performer au camp d’entraînement, lors des matchs avant la Coupe et si ça se passe moins bien durant notre premier match à la Coupe, malheureusement, ça se peut que ça soit notre seul. Il faut tout donner.»

Rien d’acquis

Même si elle en sera à un second Mondial, Beaudoin ne tient rien pour acquis. En 2019, en France, son trio avait pris part à quatre affrontements, dont un en huitièmes de finale entre le pays hôte et le Brésil ainsi qu’une demi-finale opposant la Suède aux Pays-Bas.

«Il y a beaucoup de facteurs qui vont influencer les assignations d’une Coupe du monde, explique-t-elle. Par exemple, s’il y a des équipes de la CONCACAF [Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes] qui se rendent loin, ça donne moins d’opportunités aux arbitres de la CONCACAF, afin de conserver la neutralité.»

Un peu de courage

C’est pourquoi celle qui est née à North Vancouver souhaite plutôt se concentrer sur ses objectifs personnels.

«Je pense plus à ce que je veux accomplir sur le terrain: être en bonne position pour les décisions critiques, avoir le courage d’appeler un penalty à la 90e minute d’un match de 1 à 1 et avoir une bonne communication avec mes assistantes. Si on atteint ça, les assignations vont venir. Et si on n’a pas la finale pour une raison X, Y, Z, ce n’est pas plus grave que ça», relativise-t-elle sagement. 

Malgré son sac d’expérience déjà bien garni et le fait qu’elle sait à quoi s’attendre, Beaudoin souhaite tout de même travailler sur ses habiletés physiques. La professeure au département de physiologie de l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse, désire améliorer sa vitesse afin d’être plus explosive «pour être capable d’avoir le bon angle pour voir la faute». 

De l’aide psychologique

Elle a aussi eu recours à un préparateur mental, comme n’importe quel athlète olympique.

«Il y a beaucoup de pression à arbitrer dans une Coupe du monde, convient Beaudoin. Il y a des millions de personnes qui regardent, il y a des dizaines de caméras. Tout le monde va être capable de voir les erreurs qu’on fait sur un terrain. Donc, il faut se préparer à être dans le moment présent. Quand on commet une erreur sur le terrain, il faut être capable de continuer plutôt que de ruminer. Ça peut faire la différence entre un bon arbitre et un très bon arbitre.»

Et évidemment faire la différence entre un officiel qui sera choisi pour la finale ou pas.

D’une joueuse ordinaire à une officielle extraordinaire

Marie-Soleil Beaudoin n’avait pas de grandes aspirations quand elle a commencé à arbitrer, à 20 ans, «sur le tard», comme elle s’amuse à le dire. Bien que travaillante, elle a eu droit à un peu de chance.

«L’arbitrage, c’était une façon naturelle de rester impliquée dans un sport que j’aimais, même si je n’étais pas une très bonne joueuse, admet-elle d’emblée. C’est vraiment un concours de circonstances. Les bonnes personnes m’ont vue aux bons moments et m’ont recommandée pour des matchs plus élevés.»

Marie-Soleil Beaudoin

Crédit photo : Photo fournie par Marie-Soleil Beaudoin, CONCACAF

«En faisant des petits pas comme ça, j’ai fait mon premier championnat national, poursuit Beaudoin. C’est là que j’ai eu la piqûre, que je me suis rendu compte que l’arbitrage pouvait être plus que juste une activité de fin de semaine ou de soirs d’été pour me faire un peu d’argent. C’est là que j’ai appris à aimer le défi qu’un match de soccer peut représenter pour un arbitre. L’arbitrage, ce n’est jamais plate. La quête du prochain défi m’a amenée à grimper les prochains échelons.»

Un tremplin

Les échelons, Myriam Marcotte les a également gravis rapidement après avoir obtenu son premier sifflet à 15 ans afin de pouvoir profiter d’un emploi en plein air. Ayant pratiqué le soccer de l’âge de 5 à 20 ans, souvent avec des équipes élites, la trentenaire originaire de Lévis s’apprête à vivre sa première Coupe du monde féminine senior.

«Ce qui a représenté un tremplin dans ma carrière, ce sont les qualifications pour les Jeux olympiques en janvier et février 2020. C’est vraiment là que j’ai mis un pied dans la porte du processus.»

Chez les professionnels

Par la suite, Marcotte s’est retrouvée au centre du terrain entourée de joueurs professionnels, dans Première ligue canadienne (CPL), à l’instar de Beaudoin.

«C’est le meilleur niveau au Canada après la MLS, précise Marcotte. C’est vraiment des matchs qui m’aident dans ma préparation. Plus récemment, la Coupe du monde des moins de 17 ans en Inde a été une très belle expérience.» 

Être capable de suivre le rythme des hommes, ça ne peut pas nuire. Et la gestion d’un match est aussi importante.

«Au niveau masculin, il y a des fois plus d’émotion, de frustration. Chez les femmes, c’est peut-être un peu moins intense après une faute. Mais j’ai déjà arbitré l’équipe américaine et c’est tellement rapide, les joueuses sont fortes physiquement. Il n’y a pas une grosse différence entre ce niveau et la CPL», assure Marcotte.

«C’est un avantage d’arbitrer dans cette ligue, renchérit Beaudoin. En 2019, la CPL commençait et je n’avais eu qu’un ou deux matchs professionnels avant d’aller à ma première Coupe du monde. Cette fois, c’est très différent, car j’ai pu arbitrer chez les pros toute la saison dernière et ce sera le cas aussi cette saison.» 

Elles planifient leur grossesse

Myriam Marcotte et Marie-Soleil Beaudoin ont plusieurs points en commun, dont celui d’avoir planifié leur grossesse en fonction du Mondial.

«La pandémie a vraiment ralenti notre préparation qui a commencé vers la fin de 2020. Plein d’événements n’ont pas eu lieu, tout a été un peu retardé et bousculé. Mais d’un côté, ç’a été positif. J’ai donné naissance en juin 2021 à ma petite fille Claire», raconte Marcotte.

Elle avait déjà retardé le projet «bébé» après avoir été invitée à un évènement. 

Beaudoin a aussi choisi la pause forcée de la COVID-19 pour avoir un deuxième garçon.

«Dans la planification de la grossesse, il y avait clairement la Coupe du monde dans ma tête. Je savais que si je voulais aller à la Coupe en 2023, je devais connaître une bonne saison 2022, donc, je devais être enceinte avant ça», relate la femme de 40 ans qui avait procédé de la même manière pour son aîné.

Passage obligé pour gagner des points en vue du Mondial en France, Beaudoin avait pris part à la Coupe du monde des moins de 17 ans en Uruguay un an plus tôt. Son fils avait alors 7 mois. Pas facile pour le cœur d’une nouvelle maman.

«Je ne pensais pas dans ma vie donner naissance et arbitrer une finale de Coupe du monde dans la même année!»

Ça aurait pu être la fin

C’est donc un défi supplémentaire auquel les officielles doivent faire face.

«Il y a aussi un défi mental, parce que je ne savais pas comment allait aller la grossesse, comment j’allais revenir après [l’accouchement]. Je devais être consciente que [ma carrière d’officielle] pouvait s’arrêter là. Il n’y a pas de pensée magique. Il peut y avoir des conséquences», soutient Marcotte.

Mais en voyant que Beaudoin et d’autres avant elle avaient réussi à revenir à un haut calibre d’arbitrage, Marcotte était encouragée. Faut dire que les deux femmes se sentent choyées d’avoir l’appui de leurs proches.

«Le support de ma cheffe de département à l’Université Dalhousie est incroyable aussi, remercie Beaudoin. Quand je pars pour des séminaires, des collègues enseignent mes cours et quand je reviens, j’enseigne pour eux.»

Quitter sa job

Quant à elle, Marcotte a choisi de se consacrer entièrement à sa préparation. Elle a quitté son emploi de coordonnatrice de l’arbitrage à l’Association régionale de soccer Lanaudière en décembre.

«Avant, je devais tout le temps jongler avec mes disponibilités et celles de mon conjoint afin de savoir quand je pouvais m’entraîner ou partir. C’était compliqué.»

«Je m’entraîne six jours par semaine, un entraînement par jour, parfois deux. C’est très exigeant.»

Pas loin du rythme d’un athlète.