Bobby Nadeau n’en veut pas à Patrick et Jonathan Roy

Il y a 15 ans, en mars 2008, le Saguenay vibrait au rythme de la série éliminatoire entre les Remparts de Québec et les Saguenéens de Chicoutimi. Cette série est effectivement passée à l’histoire, malheureusement pour une mauvaise raison.

Les images ont fait le tour de l’Amérique: Jonathan Roy qui traverse la glace pour attaquer Bobby Nadeau, suivant un geste de l’entraîneur des Remparts, Patrick Roy, le père de Jonathan.

«Le premier souvenir qui me revient, c’est Richard (NDLR: Martel, l’entraîneur des Saguenéens) debout sur la bande, qui me fait signe de ne pas me battre», a relaté Bobby Nadeau en entrevue avec TVA Nouvelles, 15 ans plus tard.

L’ex-gardien des Saguenéens, qui va célébrer son 35e anniversaire cette semaine, est aujourd’hui dentiste à Kingston en Ontario, où il se spécialise dans les traitements de canal. Au cours d’une généreuse entrevue de 25 minutes, il parle de l’événement d’un ton neutre, sans amertume.

«Je n’en veux pas à Patrick, et je n’en veux pas à Jonathan, même si sans le signal de Patrick, Jonathan ne traverse pas la glace», a dit Bobby Nadeau.

La fameuse scène survient en 2e période du deuxième match de la série. Les Saguenéens, en avance 7 à 1, sont en voie d’égaler la série 1 à 1. Une bagarre impliquant les 10 joueurs sur la patinoire éclate, et Jonathan Roy, qui vient de concéder trois buts rapidement après son entrée dans le match, se rend à sa propre ligne bleue. Il est retenu par un arbitre, mais ce dernier finit par le laisser pour intervenir sur les autres combats.

La caméra de TVA près du banc des Remparts capte alors l’image de Patrick Roy, pointant sa main vers le filet adverse, pendant que son fils traverse la glace.

«C’est certain que je voyais arriver Jonathan, a raconté Nadeau. Il y a mille choses qui me passent par la tête, à savoir si je me bats ou pas, mais je ne devais pas non plus me sortir de mon match. Si c’est Kevin Desfossés (NDLR: le gardien titulaire des Remparts cette année-là), qui s’en vient, c’est sûr que je me bats, mais pas avec le gardien réserviste!»

«Je me suis dit qu’au pire, il allait freiner devant moi pour m’empoigner et m’inviter à me battre.»

«Toutes les étoiles étaient alignées»

L’intention de Jonathan est toute autre. Il agrippe son adversaire par le masque, le retire, et le roue immédiatement d’une dizaine de coups de poing.

«Il est rapidement devenu trop tard pour moi de réagir, a expliqué Bobby Nadeau. J’ai donc essayé de me protéger de mon mieux.»

Quinze ans plus tard, la victime jette un regard lucide sur l’événement. Son rendement dans les matchs suivants a été affecté, mais surtout en raison de l’ampleur médiatique. En cette fin de semaine de Pâques 2008, les images roulent en boucle sur les chaînes d’informations en continu. Les réactions politiques sont nombreuses, et des partisans des Saguenéens déposent des plaintes contre Jonathan Roy pour voie de fait sur Bobby Nadeau au Service de police de Saguenay.

«Toutes les étoiles étaient alignées, a analysé Bobby Nadeau. Patrick Roy est l’un des grands gardiens de l’histoire, son propre fils est impliqué. Mais moi, je me suis retrouvé avec une vingtaine de micros et de caméras sous le nez sans qu’on me prévienne de quoi que ce soit. Mes parents recevaient des appels à la maison de journalistes du Canada anglais et même des États-Unis. J’aurais aimé un appel de la ligue, pour qu’on me conseille sur la façon de gérer tout ça, pour moi et ma famille, et même pour aider l’organisation des Saguenéens. Un joueur de hockey de 19 ans n’est pas préparé à faire face à tout ça.»

Le match suivant, au Colisée de Québec, n’a rien pour aider Nadeau à faire le vide. La ligue demande aux deux équipes de tenir leur période d’échauffement séparées, mais Richard Martel ne délègue que son gardien partant et un autre joueur. Deux Saguenéens, qui se sentent bien seuls sous les huées de 15 000 partisans.

«Je n’ai jamais compris l’idée de Richard, a avoué Bobby Nadeau. On aurait pu avoir une discussion à savoir si j’étais en mesure de jouer, ou si j’avais besoin d’un repos. Après l’événement avec Jonathan Roy, j’ai ressenti une grande culpabilité. J’avais le sentiment que j’avais laissé tomber mon équipe.»

Les Saguénens avaient finalement été éliminés au bout de six matchs. Nadeau a disputé sa dernière année junior avec le Rocket de l’Île-du-Prince-Édouard, où il a suffisamment bien fait pour mériter une invitation au camp des Canucks de Vancouver.

Pas contre les bagarres

L’agression de Jonathan Roy avait incité la Ligue de hockey junior majeure du Québec à resserrer ses règlements. Curieusement peut-être, Nadeau n’est pas en faveur d’une abolition pure et simple des combats.

«Si on les enlève, il y aurait davantage de coups salauds, estime-t-il. On parle des traumatismes crâniens, mais est-ce qu’il y a seulement les bagarres en cause? Un joueur reçoit beaucoup de mises en échec pendant sa carrière.»

En octobre 2009, Jonathan Roy avait plaidé coupable à une accusation de voie de fait. Il avait bénéficié d’une absolution inconditionnelle.

«Je ne l’ai jamais revu, et je ne voudrais pas participer à une rencontre arrangée», a dit Bobby Nadeau.

«Si je le revoyais, je pense qu’on se serrerait la main et qu’on trouverait le moyen de rire de ce qui s’est passé.»

Voyez le reportage de Jean Houle dans la vidéo ci-dessus.