CH: un espoir sorti de nulle part

S’il fallait classer les espoirs des Canadiens de Montréal en termes de point par match cette saison, la coqueluche du moment, Joshua Roy, apparaitrait sans surprise au premier rang. Votre regard s’arrêterait ensuite au deuxième échelon sur J-a-r-e-d D-a-v-i-d-s-o-n.  

Ce nom ne vous dit probablement pas grand-chose. C’est normal: Davidson a dû attendre ses 20 ans pour être repêché tardivement au cinquième tour (130e au total) par les Canadiens de Montréal le 8 juillet dernier.  

Deux fois, il a été ignoré au repêchage de la LNH. Pire encore: après avoir été boudé au repêchage bantam de la WHL à l’époque, il a été retranché du midget AAA!  

«C’est probablement la meilleure chose qui me soit arrivée, au final», raconte le principal intéressé à l’auteur de ces lignes.

Davidson connaît très bien l’histoire d’Arber Xhekaj et, s’en inspirant, il commence lui-même à se faire un nom. Le joueur de centre de 6 pieds, natif d’Edmonton, a connu des séries de feu le printemps dernier avec 29 points en 25 matchs pour mener les Thunderbirds de Seattle à la finale de la WHL. Seul Logan Stankoven – dont le talent vous a sans doute ébloui au Championnat mondial junior – a mieux fait que lui.  

Cette saison, Davidson poursuit sur sa lancée, lui qui revendique déjà 50 points, dont 20 buts, en 31 matchs à Seattle. Dans quelques mois, il pourrait troquer le chandail des Thunderbirds pour celui du Rocket de Laval, une fois son parcours terminé dans le junior.  

«Nous croyons qu’il est prêt à graduer à la fin de la saison, c’est certain», affirme au bout du fil son directeur général, Bill LaForge.  

Jadis, quand LaForge sillonnait les arénas de l’Ouest canadien à titre de recruteur, un jeune Brendan Gallagher faisait un tabac avec les Giants de Vancouver. Observer Davidson replonge l’homme de hockey dans ses souvenirs.  

«Si Jared atteint la LNH, c’est le genre de joueur qu’il devra être. Quelqu’un qui combine énergie et talent, en plus d’évoluer dans toutes les situations.» 

Des joueurs unidimensionnels qui brûlent le junior à 20 ans, on en trouve chaque année, et la majorité d’entre eux frappent un mur au niveau professionnel. Or, Davidson n’est pas tout à fait ce typique franc-tireur qui, une fois plus mûr que les autres, empile les statistiques de façon opportuniste. Il a un petit quelque chose de plus: du chien. Il joue d’une manière effrontée.  

«C’est assurément un compétiteur (gamer). Il n’est pas si gros ou si grand, mais comme Gallagher, il fait monter la température quand il saute sur la glace. Il finit ses mises en échec et il est prêt à défendre ses coéquipiers. L’autre soir [l’entrevue a été menée au mois de décembre, NDLR], il a jeté les gants trois minutes après la première mise au jeu et il a vraiment renversé la vapeur.» 

Cette hargne et ce côté abrasif se sont également manifestés le 30 décembre dernier lorsqu’il a assommé un rival d’une percutante droite.  

MODESTES DÉBUTS 

De nombreux facteurs expliquent la nature tardive de l’éclosion de Jared Davidson, qui a mis du temps avant de devenir un joueur digne de mention dans la WHL. Plusieurs chemins peuvent mener à Rome, mais disons que celui emprunté par Davidson a été particulièrement sinueux.  

Tout juste avant son année d’admissibilité au repêchage bantam, il a subi une blessure au cours de l’été qui lui a fait prendre un retard important sur les joueurs de sa cohorte, si bien qu’il a été ignoré par les formations de la WHL. Retranché ensuite du midget AAA, il a dû évoluer avec les joueurs de 15 ans du triple lettre.  

Par chance, l’entraîneur des gardiens des Thunderbirds de Seattle, Ian Gordon, assistait à ses matchs puisque son fils était dans la même équipe. Gordon a noué des liens avec le père de Davidson. L’invitation au camp des Thunderbirds a suivi et l’attaquant n’a pas raté son audition à 16 ans.  

Ses deux premières saisons dans le junior n’étaient toutefois rien pour écrire à sa mère. Davidson, qui sortait de nulle part, luttait pour des minutes de qualité avec des joueurs repêchés dont le potentiel était jugé supérieur.  

«Déjà, à 16 ans, c’est difficile d’obtenir de grandes responsabilités, alors imagine quand tu n’as pas été repêché, justifie Davidson. On ne m’a rien donné, oh que non! Chaque match, j’avais intérêt à me présenter. J’ai vraiment dû monter au sein de la formation à force de travail acharné.» 

Crédit photo : Thunderbirds de Seattle

ENTRAÎNER SON… CERVEAU  

La COVID est vraiment venue tout changer pour Davidson, qui s’est soudainement retrouvé avec beaucoup de temps entre les mains. Le jeune homme s’est mis à décortiquer son jeu sous toutes les coutures et étudier méticuleusement tous les aspects du hockey.  

«J’ai tiré des rondelles en quantité industrielle et j’ai vraiment appris les subtilités de la position de gardien de but pour mieux cerner leurs déplacements et comprendre comment les déjouer, explique Davidson. Puis j’ai travaillé sans relâche sur ma force physique et ma vitesse.» 

«Son éclosion est facile à comprendre: il a travaillé comme un déchaîné, indique de son côté le directeur général des Thunderbirds, Bill LaForge. Il a toujours eu un bon lancer, mais à 16 ans, il ne patinait pas comme il patine aujourd’hui. C’est vraiment ce qui le ralentissait. Il a tellement travaillé là-dessus qu’il est devenu un bon patineur.» 

Davidson a aussi collaboré avec une spécialiste de la performance visuelle cognitive, Jace Freeman. Ça semble très compliqué, et ce l’est : en gros, il entraînait ses yeux à traiter rapidement l’information pour améliorer sa prise de décision et ses lectures de jeu sur la patinoire.  

«Son travail a eu un impact considérable sur mon jeu, confie Davidson. Tu peux réaliser spontanément ce qui se déploie devant toi sans avoir à penser autant. C’est fou à quel point la recherche a évolué en ce qui a trait au cerveau humain.» 

LE CH A CACHÉ SON JEU  

Il faut croire que les Canadiens ont bien joué leurs cartes au dernier repêchage, car Davidson ne se doutait pas que le Tricolore lui portait un intérêt particulier.  

«Je dois dire que j’ai été un peu surpris. J’étais très heureux d’entendre mon nom, mais je me souviens seulement d’avoir rempli un formulaire pour eux et de leur avoir parlé une fois via Zoom. J’imagine que c’était suffisant pour me cerner!» 

Davidson se souvient de «quatre ou cinq équipes qui, à mes yeux, avaient vraiment manifesté beaucoup d’intérêt».  

Après la séance de sélections, le codirecteur du recrutement amateur du CH Nick Bobrov avait parlé en termes très élogieux de sa prise au cinquième tour.  

«Il était le moteur de son équipe lors des séries, avait-il décrit. Il a toujours la pédale au plancher, il n’arrête pas. Il peut marquer de différents endroits sur la glace. Il a un tir qui est vraiment intéressant. Il est physique et il est acharné. C’est le genre de joueur que tu imagines jouer dans les séries de la Coupe Stanley en raison de son style. Il est un joueur avec du leadership et dont le moteur n’arrête jamais. Il est plus vieux que les autres, mais c’est un jeune homme qui n’a cessé de s’améliorer dans les dernières années même si la pandémie a limité ses occasions de montrer sa progression au grand public.» 

Si Davidson n’a pas senti énormément d’intérêt de la part du club qui l’a réclamé, le discours vibrant de Bobrov nous prouve que les Canadiens ont simplement joué au poker.