Du MSG au Studio 54: nuits endiablées sur Broadway

Automne 1977. Le Bronx brûle, pour reprendre les célèbres paroles du journaliste Howard Cosell, prononcées pendant la Série mondiale opposant les Yankees aux Dodgers de Los Angeles. 

Peu après le repêchage amateur, Ron Duguay s’est amené dans la jungle de New York tel un jeune loup affamé. Le Franco-Ontarien, 13e choix au total des Rangers, a vite pris goût à la ville cosmopolite aux mille vices. Il allait la dévorer. 

Voyez l’entrevue avec Ron Duguay dans la vidéo, ci-dessus.

Au cours des dernières semaines, il a été question du cas d’Alexis Lafrenière. Que traverse un jeune hockeyeur francophone lorsqu’il aboutit dans l’éclectique marché new-yorkais? Les époques ont changé, certes, mais la camaraderie demeure la clé.

«Il y avait d’autres francophones dans l’équipe comme Lucien DeBlois, Carol Vadnais et Mario Marois, a raconté Duguay dans un généreux entretien avec le TVASports.ca au cours de la semaine. J’étais très confortable avec eux dans cet environnement. Phil Esposito était comme mon père.»

Un joueur de centre qui excellait dans le cercle des mises au jeu en plus d’être efficace à court d’un homme, Duguay déployait sa rapidité et son ardeur pour se démarquer lors de ses deux premières années sur Broadway. 

«Moi, j’aimais l’attention durant les parties. C’était gros pour moi. Les partisans étaient bruyants. C’était excitant et ç’a sorti le meilleur de moi. Dès que j’ai foulé la glace, je pouvais sentir l’énergie. Tu deviens alors plus qu’un joueur de hockey. 

«Tu deviens un artiste, car tu divertis et tu as une occasion de faire bondir les spectateurs de leur siège chaque fois que tu assènes une mise en échec.»

Le séducteur des Rangers

Le nom «artiste» prend tout son sens lorsqu’on effleure la carrière de Ron Duguay. Vers la fin de la décennie 1970, sa carrière a décollé à tous les nouveaux. Un extraordinaire parcours digne d’un film : sur le plan du hockey, il a franchi le plateau des 20 buts à trois reprises en plus d’offrir une campagne de 40 buts aux Rangers. 

Parallèlement, comme Guy Lafleur, il a enregistré un album avec Esposito, Dave Maloney et John Davidson en 1979, «Hockey Sock Rock». Un opus certifié… platine! 

Avec les deux premiers, il a aussi tourné dans une pub des jeans Sasson qui les a propulsés au statut de supervedettes. Des babillards de l’offensive étaient tapissés avec slogan «Ooh La La Sasson», çà et là à travers la ville.

Simultanément, la fourmilière de fêtards alimentait le brasier de la culture disco qui faisait rage dans les cinq arrondissements de la Grosse Pomme, que les vedettes des Rangers croquaient. L’hédonisme régnait au quotidien.

«J’ai gravité autour de ça et je m’ennuie du style de vie de New York. Pour un jeune qui grandit à Sudbury, tu sors et tu fais la fête. À New York, c’était plus gros et c’est une bonne chose que je n’ai pas été repêché avant. J’avais 20 ans, donc j’étais prêt.»

Avec l’aide de Rod Gilbert

Lorsqu’il est débarqué dans Manhattan, c’est Rod Gilbert qui a accueilli Duguay après la signature de son premier contrat. Le Montréalais, un membre des Blueshirts depuis 1960, a disputé sa dernière saison en 1977-1978 dans la LNH et a pris le jeune Duguay sous son aile. Il l’a introduit à son cercle d’amis du vedettariat.

Peu à peu, «Doogie» se démarquait autant pour sa chevelure bouclée qui volait au vent que pour sa réputation de bachelor. Le séducteur coureur de jupons ne passait pas inaperçu non plus auprès de la gent féminine.

«J’attirais beaucoup d’attention, puis j’ai commencé à rencontrer des célébrités. J’étais très confortable avec tout ça, mais le hockey passait en premier. Je savais que je devais performer sur la glace pour que le reste soit acceptable. Les entraîneurs savaient que je m’amusais à sortir, mais si je n’avais pas livré la marchandise sur la glace, ç’aurait été problème.»

Rappelons que pendant ce temps, les boites de nuit montréalaises vibraient aussi aux rythmes du disco et les virées festives des étoiles des Canadiens, entre le boulevard Crescent et la rue Stanley, sont bien connues. 

Il reste qu’à certains moments, les Serge Savard, Larry Robinson et Guy Lafleur passaient pour des enfants de chœur à côté des débauches des vedettes des Rangers. La ville qui ne dort jamais était à l’image de ses idoles.

Sous la plume de l’auteur Larry Sloman, le livre «On Thin Ice : A Season in Hell with the New York» paru en 1980 relate le moindre détail des orgies de l’époque. Le bouquin n’est plus sous presse et se vend à prix exorbitant sur internet. Il serait impensable de voir un tel ouvrage naître dans l’ère moderne.

«On fêtait fort, admet Duguay. Les reporters n’en parlaient pas. De nos jours, tu ferais la Une des journaux et certains voudraient porter plainte contre toi pour obtenir quelque chose. C’est un monde différent. Nous nous sommes permis pas mal de choses, laisse entendre Duguay. 

«C’était une période amusante pour jouer dans la LNH. Ce n’était pas toujours facile, car je suis arrivé après le règne des Broad Street Bullies. Ça jouait dur, comme si on était tous des gladiateurs sur la glace.»

L’entraîneur-chef, Fred Shero, aurait lui-même servi de guide de vie nocturne aux nouveaux joueurs de son club avant d’être congédié en 1980-1981. Même Esposito, âgé dans la fin de la trentaine, se laissait aller dans les soirées avec ses jeunes camarades. À en croire Duguay, «Espo» était aussi capable de se cramer le burlingue.

«Oh oui!», s’esclaffe-t-il.

Nuits endiablées au Studio 54

Pour ce qui est de l’endroit de sélection, les joueurs des Rangers étaient reçus comme de la royauté au Studio 54 pour accompagner la clientèle d’artistes et de mondains. Rien de moins. Des hockeyeurs pouvaient partager une banquette avec Mick Jagger et c’était coutume.

«Tout le monde était là. C’était la discothèque la plus populaire au monde. Montréal en avait quelques-unes, mais c’est là où tout le monde voulait aller et où peu de gens pouvaient entrer. Je connaissais le copropriétaire, Steve Rubell. Le portier Marc Benecke, était un grand partisan des Rangers. J’entrais sans problème avec Don Murdoch. C’était surtout nous deux.

«C’était drôle parce que souvent, pendant la période d’échauffement au Garden, les joueurs des autres équipes s’approchaient de moi et me demandaient “eh, Ron! Penses-tu que tu pourrais me faire entrer à Studio ce soir?”. Ils voulaient y aller aussi!»

Duguay parle de cette tranche de vie comme s’il avait été choyé de fréquenter la légendaire boite de nuit, sujet d’innombrables écrits et documentaires. Près de 40 ans après sa fermeture, elle continue de fasciner.

«Je ne réalisais pas à quel point c’était gros à l’époque, avoue-t-il. Je l’ai pris pour ce que c’était et j’étais très confortable dans ce monde-là. C’était une ère très unique, une que l’on ne reverra jamais. 

«À ce moment-là, les gens n’avaient pas d’appareil cellulaire pour tout filmer ce que je faisais ou ne faisais pas. Je vous dirais qu’il y a eu quelques occasions où je n’ai pas respecté le couvre-feu! Ça rendait le tout plus facile.» 

Montréal-New York : destination coupe Stanley

Au printemps 1979, les Rangers et les Canadiens de Montréal se sont retrouvés en finale de la Coupe Stanley – série que l’on pourrait rebaptiser la coupe disco. Deux clubs dont la fraternité était soudée par le désir de triompher et se tenir.

Le Tricolore a eu le meilleur en cinq matchs dans cette confrontation mettant aux prises deux équipes parmi les six équipes originales. Deux joutes se sont décidées en prolongation : «ç’aurait pu aller d’un bord comme de l’autre», croit Duguay. 

«J’adorais les séries. Dans cette finale-là, ç’avait tout pris ce qu’on a pour qu’on y accède. On a battu les Islanders.

«Ça m’a montré à quel point c’est difficile de gagner une coupe Stanley. Ça tire toute l’énergie que tu as en toi. Tu dois être fort mentalement pour compétitionner. Tu es fatigué, donc il te faut trouver une façon de continuer en prenant de bonnes décisions, puis gagner tes combats sans te laisser intimider. Ça m’a aidé.»

Crédit photo : You Tube

Sur le plan des statistiques individuelles, Duguay a déjoué Ken Dryden deux fois. Lorsqu’on lui rappelle l’exploit, ce souvenir fait rayonner un sourire sur son visage.

«On avait une bonne équipe et on était très proche. On se battait l’un pour l’autre. C’est comme ça que c’était dans ce temps-là. J’étais entouré de bons coéquipiers et c’est ce qui me manque le plus aujourd’hui. D’avoir des coéquipiers.» 

Le père de Duguay était présent au Forum pour encourager son fils. Dans les deux enceintes, l’atmosphère était électrique.

«Jouer au (Madison Square) Garden, c’était comme jouer au Forum, sauf que les partisans étaient un peu fous. Montréal, c’était plus sophistiqué. J’ai vu des hommes porter des chapeaux. Dans nos gradins, les spectateurs fêtaient et s’enivraient. Ils en venaient même aux coups. Ils étaient déchaînés.» 

Crédit photo : You Tube

Duguay a tout de même vécu une expérience magique lors de cette finale dans l’axe Montréal-New York. 

«J’ai grandi en regardant les Canadiens jouer, donc j’adorais ça (au Forum). Je me disais que gagne ou perd, j’allais aimer ça. On a perdu, mais on ne pensait même pas qu’on se rendrait en finale. On aurait pu les battre.» 

«Au Forum, c’était spécial. Lorsque c’est spécial – et c’est ce que j’explique aux jeunes-, tu te demandes si tu veux être un joueur normal ou si tu veux te démarquer. Quand j’embarquais sur la glace, je voulais être le meilleur, assure-t-il.

«Mon père était sur place. Je voulais être le meilleur. Je ne laissais rien m’intimider. Quand on jouait à Boston ou Philadelphie, oui, c’était difficile. Mais tu ne pouvais te laisser intimider et je ne laissais rien m’atteindre.»

Muse d’Andy Warhol, dans l’objectif de Spielberg

Un jour, en 1980, Gilbert a présenté Duguay à Andy Warhol, le père de la Pop-art. Cette rencontre lui a ouvert des portes que peu de hockeyeurs découvriront.

«Warhol a publié une photo de moi sur la page frontispice de son magazine, “Interview”. Dès lors, tout le monde voulait me rencontrer. C’était une belle photo de moi. Je l’ai encore sur mon mur!»

Parmi ceux qui ont mis la main sur un exemplaire de la revue, un des plus grands réalisateurs de l’époque.

«Ç’a mené à une rencontre avec Steven Spielberg pour le rôle principal dans “Les Aventuriers de l’arche perdue (Raiders Of The Lost Ark)”. Il s’est dit “wow, il faut que je fasse connaissance avec lui”.»

Duguay n’a pas eu le rôle à la fin. Il reste que la couverture du magazine de Warhol a mené à une relation intime avec une vedette de la télésérie Charlie’s Angels, venue à New York pour jouer dans une pièce de théâtre. Un exemplaire lui est tombé entre les mains.

«Un certain temps plus tard, j’étais dans un événement et Farrah Fawcett est venue se présenter. Elle m’a dit qu’elle venait de lire l’article qui portait sur moi», se remémore Duguay. 

La comédienne s’était récemment séparée (ou en pause) et elle est tombée sous le charme du jeune patineur, de 12 ans son cadet. Elle n’était pas la seule diva à le courtiser.

Duguay a aussi eu une aventure avec la chanteuse Cher, par l’entremise de Liza Minnelli, lors d’une soirée qui s’est terminée au domicile de Gene Simmons, du groupe Kiss, aux petites heures.

Crédit photo : Gracieuseté, Ron Duguay

Le joueur a même déjà eu une proposition de rendez-vous pendant un match sous le regard diverti d’Esposito. 

Lors d’un affrontement à Los Angeles, il a reçu un papier au banc. L’une des mannequins de l’émission Price is Right, Holly Hallstrom, souhaitait le rencontrer après la partie et la Texane n’est pas passée par quatre chemins pour lui en faire part. Cette aventure lui a coûté sa copie du disque platine de «Hockey Sock Rock», qu’il a égarée après avoir déjeuné avec la modèle le lendemain matin, a-t-il révélé à The Athletic en 2020.

Chassé de New York

Les journaux à potins s’en donnaient à cœur joie avec Duguay. Malheureusement, il faisait la manchette trop souvent au goût de son entraîneur-chef, qui l’a conseillé de se tenir loin de la section «Page Six» du New York Post

«C’est devenu un problème lorsque Herb Brooks est débarqué en ville, se désole-t-il. À ce moment-là, j’étais une grande célébrité et il lisait les articles à mon sujet. Il savait que je sortais au Studio 54 et que je faisais la fête. Ç’a m’a peut-être nui un peu, mais j’avais beaucoup de plaisir dans tout ça.

«Même si j’ai marqué 40 buts pour lui, ça l’agaçait. Deux ans plus tard, il m’a sorti de New York.»

Brooks a été nommé à la barre des Rangers en 1981. Il sortait des rangs universitaires et avait sur son CV une conquête de la médaille d’or avec la formation américaine aux Jeux olympiques de 1980. Le «miracle sur glace». 

«Nous étions tous des vedettes dans le vestiaire. Je ne sais pas s’il s’est senti menacé par ça, mais nous étions plus grands que lui. »

Un seul regret

En 1983, Duguay a été échangé aux Red Wings de Detroit avec Ed Johnstone et Eddie Mio. Il jure avoir toujours été «capable d’équilibrer les deux modes de vie» et qu’il pouvait être à son meilleur tout en profitant de New York. Il ignore à ce jour pourquoi il l’a chassé de Manhattan.

Brooks est décédé en 2003.

«J’aurais aimé lui poser la question. Il reste quand même mon entraîneur-chef préféré. J’appréciais Herb Brooks. Il dédaignait mon mode de vie, croit-il.

«Je ne me suis jamais obstiné avec lui, on ne s’est jamais chicané et je n’ai jamais été en retard pour un entraînement. Je n’y étais jamais trop tôt non plus!»

Après des séjours à Detroit et Pittsburgh, Duguay est revenu à New York en 1987 par la voie d’une transaction qu’a conclue son ami Esposito, maintenant directeur général des Rangers.

Figure paternelle, ce dernier a exaucé sa demande d’être échangé aux Kings de Los Angeles un an plus tard pour qu’il puisse y rejoindre son amie de cœur.

La carrière de Duguay dans la LNH s’est terminée en 1989 après 860 matchs en saison régulière et lors desquels il a amassé 620 points. Il a ajouté 53 points en 89 joutes en séries.

Il n’a qu’un regret : «j’aurais aimé jouer au moins deux années de plus. Douze ans dans la LNH, ce n’est pas assez long.»

Duguay réside dans la région de Jacksonville, en Floride. Il est toujours au service des Rangers, a-t-il informé.