Felipe Alou: «La famille Alou mérite mieux que d’être oubliée»
En toute humilité, Felipe Alou ne souffre aucunement de ne pas être au Temple de la renommée du baseball, à Cooperstown. Il croit toutefois que lui et ses jeunes frères Matty et Jesus, tous deux décédés, devraient y être admis ensemble.
«Je ne pense pas que Felipe Alou mérite d’être intronisé, je ne pense pas que Matty le mérite, ni Jesus, mais les trois ensemble, oui, a statué l’ancien gérant des Expos, au cours d’une entrevue accordée en marge du Gala Expos Fest, le week-end dernier, dans un hôtel de Laval. Cette famille mérite mieux que d’être oubliée.»
Âgé de 87 ans, bientôt 88, l’ex-joueur et entraîneur est diminué physiquement. Il se déplace avec une canne, mais celui qui partage sa vie entre la Floride et la République dominicaine n’a rien perdu de sa franchise, ni de sa fascinante mémoire.
«À trois, nous avons joué pendant près de 50 saisons dans le baseball majeur, ça fait pratiquement un demi-siècle, a indiqué l’homme d’origine dominicaine, en rappelant les carrières de ses frères et lui. Je ne suis pas gêné et je n’ai pas peur de le dire : nous étions trois bons joueurs. Ce ne serait pas une faveur qu’on nous ferait. Il devrait y avoir un mécanisme par lequel on pourrait être intronisés les trois en même temps. Nous avons été de bons citoyens et il n’y a aucun dopage relié à notre famille, absolument rien de négatif.»
À lui seul, Felipe a joué pendant 17 saisons, principalement avec les Giants de San Francisco et les Braves, autant à Milwaukee qu’à Atlanta. C’est à San Francisco que les frères Alou, en 1963, ont joué en même temps au champ extérieur pour une équipe du baseball majeur.
«Je dis parfois à la blague que pour avoir trois frères dans la même équipe en même temps, il faut d’abord avoir trois garçons dans une famille et les trois doivent jouer au baseball, a noté celui qui fut le gérant des Expos de 1992 à 2001. En plus de tout ça, les trois doivent tous être bons et jouer dans la même équipe. Il y a trop d’ingrédients à ressembler pour que ça arrive à nouveau.»
Pour appuyer ses dires, l’ancien gérant des Expos mentionne au passage les moyennes au bâton en carrière de Matty (,307) et de Jesus (,280). La sienne était de ,286.
«Imaginez si trois frères Américains avaient fait cela, je crois que cet épisode dans l’histoire du baseball majeur aurait été davantage mis de l’avant, mais nous n’étions que trois Dominicains, à l’époque», de commenter Felipe.
Des pionniers
Au-delà des exploits de la famille Alou sur le terrain -et c’est sans compter Moises, fils de Felipe-, il faut considérer les trois frères comme de grands pionniers pour les joueurs latinos. Certains vont même jusqu’à identifier Felipe Alou comme le «Jackie Robinson des latinos».
«J’ai fait partie de ça, mais la première personne à considérer avant moi est Roberto Clemente, a tranché Felipe. Il était le porte-parole des latinos, ce joueur Noir originaire de Porto Rico parlait de notre situation. J’ai moi-même protesté contre le mauvais traitement fait aux joueurs latinos, mais je n’ai rien fait que Clemente ne faisait pas déjà.»
«Nous avions la même vision et nous sentions la même responsabilité pour faire avancer les choses, a-t-il ajouté. Au départ, nous étions considérés comme inférieurs aux Américains et pas seulement vis-à-vis les Blancs, mais aussi vis-à-vis les Afro-Américains. Nous savions que nous étions aussi bons que tous les autres, mais certains médias américains ne nous respectaient pas autant que nous le méritions. Certains riaient de notre accent, mais nous étions venus aux États-Unis pour jouer au baseball, pas pour parler.»
Trop triste pour aller pêcher
S’il a vécu le décès de son jeune frère Jesus, le mois dernier, Felipe Alou se souvient aussi très bien du jour où Clemente est décédé le 31 décembre 1972 lors d’un écrasement d’avion pour une mission humanitaire prévue au Nicaragua.
«C’était un dimanche, a-t-il raconté. Ce matin-là, j’étais en République dominicaine, je m’en allais à la pêche. J’avais une radio dans ma voiture et quand j’ai entendu la nouvelle de sa mort, je me suis arrêté sur le bord de la route et j’ai pleuré… J’ai fait demi-tour et je suis retourné à la maison. J’étais trop triste pour aller pêcher.»
Personne n’a jamais oublié Roberto Clemente et personne n’oubliera non plus les frères Alou, même si une intronisation commune à Cooperstown semble être le meilleur moyen de s’en assurer.
- Felipe Alou portait les couleurs des Braves d’Atlanta lorsqu’il avait fini cinquième dans la course au titre de joueur par excellence dans la Nationale, en 1966. Roberto Clemente l’avait emporté, devant Sandy Koufax et Willie Mays. Alou avait par ailleurs reçu plus de votes que son légendaire coéquipier des Braves, Hank Aaron.