«Je ne l’ai pas vécu comme un deuil»

L’arrivée d’un joueur de hockey professionnel en Europe signifie souvent que sa carrière en Amérique du Nord et, du même coup, son rêve de jouer dans la Ligue nationale de hockey, arrivent à terme. Pour le Québécois Thomas Grégoire, ce pourrait bien être tout le contraire.

Du moins, c’est l’atypique plan que le défenseur a en tête.

Grégoire, un joueur d’arrière très offensif, et le petit frère de l’ex-espoir des Canadiens de Montréal Jérémy Grégoire, n’a jamais été repêché dans la Ligue nationale de hockey. Il n’a jamais pu démontrer ses habiletés dans le circuit Bettman, malgré deux saisons complètes, entre 2018 et 2020, avec le club-école des Sharks de San Jose, qui lui avait donné une chance dans la Ligue américaine de hockey.

Mais à 22 ans, il a décidé de faire le saut. De faire le saut en Europe à un jeune âge avec en tête, le pari d’impressionner et de revenir par la grande porte en Amérique du Nord. 

Ainsi, il s’est envolé en Europe en 2020 et a joint les rangs du Lukko de Rauma en Liiga, première division finlandaise.

«Ça n’a pas été une décision (sur un) coup de tête, a souligné Grégoire lors d’une entrevue accordée au TVASports.ca. C’est sûr que c’était réfléchi, mais je n’y ai pas réfléchi si longtemps que ça. Ça ne faisait pas des mois que j’y pensais. 

«[…] Cette année-là (NDLR : en 2020), je suis allé au camp d’entraînement (des Sharks) de San Jose, pour ma troisième année. On était 10 défenseurs, je ne jouais pas tous les matchs. À ma première année, j’avais 20 ans, j’étais jeune, j’étais laissé de côté quand même souvent. Ma deuxième saison, j’ai joué plus de matchs, mais encore une fois, même si ça allait bien, j’étais laissé de côté. Ma troisième année, ça me prenait un contrat pour l’année suivante, donc, c’est là qu’il a fallu que je réfléchisse. […] Si je n’ai pas une bonne saison, je vais me ramasser avec quoi? Un PTO (NDLR: un contrat d’essai professionnel)? Ou peut-être juste un contrat de la ECHL? Je voyais le moins bon côté des choses s’en venir assez vite et c’est là que je me suis dit que ça serait mieux pour moi d’aller jouer du hockey, d’aller en Europe et de continuer de m’améliorer. 

Crédit photo : Crédit photo: Annika Paakkola. Courtoisie: Lukko Rauma

«Je savais que Rauma allait m’offrir une opportunité de jouer les matchs, de jouer beaucoup de minutes. C’est vraiment ça qui m’a donné le goût de faire le saut et je l’ai fait.»

Et des regrets, le Québécois, qui vient tout juste de revenir au Québec pour quelques mois, n’en a aucun.

«Je pense que c’est une bonne chose que je n’ai pas eu le temps de devenir confortable à San Jose, a-t-il continué. J’étais jeune encore et j’avais faim. Je ne l’ai pas vécu comme plusieurs le vivent, comme un deuil ou peu importe. Moi, j’étais juste content.

«(À San Jose), il y avait déjà Erik Karlsson, (Brent) Burns, comme défenseurs offensifs. Ce n’est pas ça qu’ils cherchaient à ce moment. C’est là que j’ai compris qu’ils ne me voyaient pas dans l’alignement dans la Ligue nationale d’ici quelques années. C’est pour ça que je pense que pour eux, ils n’y ont pas pensé tant que ça à m’offrir un contrat de la Ligue nationale ou peu importe. C’est pour ça qu’après, j’ai juste décidé de partir. Mais souvent partir, ça fait peur. Je m’en vais loin, mais c’est pour revenir encore mieux. C’est pour me développer, pour avoir une chance quelque part d’autre.»

Une décision judicieuse

Il faut dire que le défenseur ne s’est pas trompé, ayant remporté le championnat de la Liiga dès ses débuts en 2020-2021 et étant le meilleur pointeur de l’équipe en 2022-2023, avec 44 points en 57 matchs, la deuxième meilleure récolte de toute la ligue chez les joueurs d’arrière et la 10e, tous patineurs confondus. Et à +23, le Québécois a affiché le troisième meilleur différentiel de la Liiga.

«Je suis encore jeune et je suis content d’avoir eu des bonnes saisons, je me suis amélioré quand tu regardes mes trois années (en Europe), a indiqué celui qui a actuellement 24 ans. La première année, on avait tellement un bon club, j’ai gagné la coupe ici. L’année d’après, on était un peu moins bon, mais j’ai continué à m’améliorer. 

«Cette année, c’était vraiment ma grosse saison. J’ai fini premier pointeur de l’équipe, ç’a vraiment été bien au niveau personnel. C’est là qu’il y a eu plusieurs offres, plusieurs portes qui se sont ouvertes à moi. C’est sûr que j’avais un choix à faire. Où aller? Qu’est-ce qui va me rapprocher le plus de mon but de revenir jouer dans la Ligue nationale?»

Et avec des statistiques comme celles-là viennent des offres alléchantes; certaines portes peuvent s’ouvrir.

De la Finlande à la Suède

Ainsi, il a choisi de s’engager dans la porte de Rögle BK, équipe de première division suédoise (SHL), avec laquelle il a accepté un contrat de deux ans qui s’amorcera en 2023-2024. Ainsi, Grégoire quittera la Finlande et traversera la mer Baltique pour atterrir à Ängelholm, dans le sud-ouest de la Suède, tout près de la frontière avec le Danemark.

Le Québécois évoluera ainsi aux côtés de l’espoir des Canadiens de Montréal Adam Engstrom dans une équipe qui a déjà accueilli des joueurs de renom tels William Nylander (Maple Leafs de Toronto) et Moritz Seider (Red Wings de Detroit), notamment. Et même s’il avait plusieurs propositions, de Suisse et de la Ligue continentale de hockey (KHL), Grégoire a choisi le vert uniforme de Rögle.

«Il y a des équipes avec lesquelles j’ai parlé, a confié Grégoire. Il y en avait quelques-unes en Suisse, en KHL. Mais en KHL, avec tout ce qui se passe, c’était un peu plus facile de dire non.

«Sinon, pour l’Amérique, dans la Ligue américaine, j’aurais pu revenir, même après ma première année quand j’ai gagné la coupe ici. Mais je l’avais déjà vécu, d’avoir un contrat de la Ligue américaine. Si je reviens, c’est parce que c’est un contrat Ligue nationale, même à deux volets. Si je reviens, je veux vraiment avoir une chance. Je ne reviens pas juste pour remplir un chandail, car je l’ai déjà fait et ça ne m’intéresse pas.»

Revenir par la grande porte

Ainsi, le défenseur de 5 pi 10 po semble vouloir faire le chemin inverse; de faire autrement que le traditionnel parcours junior-repêchage-(Ligue américaine de hockey)-Ligue nationale de hockey. Cependant, il n’a pas vécu son départ vers l’Europe comme un échec. C’est tout le contraire en fait.

«L’Europe, c’est un monde complètement différent, a analysé celui qui a porté les couleurs du Phoenix de Sherbrooke dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec de 2014 à 2018. Il y a beaucoup de ligues, mais il y a aussi beaucoup de chemins pour pouvoir aussi revenir. (Mais) ça ne se voit pas souvent. 

«[…] Je ne regrette pas, car je sais que si ça continue de bien aller, en Suède, si j’ai une bonne saison, je pourrais avoir l’opportunité de revenir. Revenir par la grande porte, avec un contrat (de la) Ligue nationale. (Un) contrat (de la) Ligue américaine, c’est vraiment difficile de percer. Et je l’ai vu. Et c’est pour ça que j’ai compris qu’il fallait que je revienne par la grande porte.»

Entre-temps, avant de revenir, Grégoire vit des expériences enrichissantes, comme celle de remporter un championnat dans une grande ligue professionnelle; un bel ajout à son curriculum vitae.

Crédit photo : Courtoisie: Lukko Rauma

«Quand on a gagné la coupe, c’était incroyable honnêtement, s’est remémoré Grégoire. Je n’avais jamais vraiment rien gagné avec mes équipes avant, que ça soit junior ou dans la Ligue américaine. […] Quand je suis arrivé ici, ok, deux, trois matchs, j’arrive, on gagne, on gagne, on gagne, on était vraiment bons. Et j’ai vu qu’on avait une belle opportunité. 

«Quand on a gagné, c’était juste magique comme moment. C’est sûr que c’était un peu décevant, car ce n’était pas devant des fans dans l’aréna à cause de la COVID. Mais, je te dirais qu’en dehors de l’aréna, les gens étaient sur le party pas mal. C’était quelque chose. Les Finlandais, ils savent fêter.»

Réunion familiale en vue?

Si Grégoire est en Europe depuis bientôt trois ans, son frère, Jérémy, lui, vient de terminer sa première campagne sur le Vieux Continent avec les Capitals de Vienne dans la International Central European Hockey League. Mais le plus vieux des deux frangins n’a toujours pas de contrat en vue de la prochaine campagne. Serait-ce une opportunité pour une réunion familiale en Suède?

«Ça serait un rêve, honnêtement, a souligné le défenseur avec le sourire dans la voix. Je pense que c’est possible, on va voir. Ça serait vraiment le fun. Mon frère, c’est un bon joueur de hockey, je le veux dans mon équipe, c’est sûr. […] On a (déjà) joué contre, c’était moins le fun pour moi. Disons qu’il a des grosses épaules. Jouer avec lui, ça serait pas mal le fun, c’est sûr.

«[…] En ce moment, je pense qu’il écoute. J’imagine que sa première option, il aimerait vraiment ça jouer avec moi. On s’en est parlé, ça aussi. Mais encore là, on a le même agent en Europe, Nic Riopel. On lui laisse faire son boulot et nous autres, pendant ce temps-là, on attend et on fait juste spéculer comme tout le monde.»