Jordan Dumais: des recruteurs avouent avoir manqué leur coup
À un moment la saison dernière, l’entraîneur-chef des Mooseheads de Halifax, Sylvain Favreau, a senti le besoin de défier les recruteurs. C’était au sujet d’un de ses joueurs, Jordan Dumais.
Alors que Dumais empilait une centaine de points l’année de son repêchage, personne ne semblait donner de l’amour à ce petit attaquant québécois aux grandes habiletés offensives. Pas d’invitation au match des meilleurs espoirs. Pas d’invitation au «Combine». Relégué au 72e rang de la liste nord-américaine de la Centrale.
«J’ai challengé des recruteurs l’an passé, raconte Favreau en entrevue téléphonique avec le TVASports.ca. Quand vous faites du vidéo, montrez-moi combien de fois Jordan n’est plus actif dans le jeu après s’être fait mettre en échec contre la bande.»
Et la conversation s’arrêtait là.
Favreau n’en veut pas du tout à ces recruteurs. Des travailleurs honnêtes qui excellent dans leur métier, selon lui. Il connaît la réalité dans ce milieu. Mais disons qu’aujourd’hui, certains d’entre eux s’en mordent les doigts d’avoir sous-estimé Dumais.
«Certains ont dit : “Ouin, on a peut-être manqué notre coup là-dessus”», confie Favreau.
Cette saison, Dumais pulvérise la compétition comme bien peu de joueurs de 18 ans sont parvenus à le faire dans l’histoire récente de la LHJMQ. Avec un effarant total de 130 points en 61 matchs, il n’est devancé que par le prodige Connor Bedard dans tout le junior majeur canadien. Il est le premier joueur en 17 ans à avoir atteint un tel plateau dans ce que l’on surnomme désormais le circuit Cecchini.
«Je peux te dire qu’en ce moment, les Blue Jackets croient avoir fait un vol…», lance l’entraîneur de Dumais au bout du fil.
Le CH le suivait de près
Les Canadiens de Montréal font partie des équipes qui ont levé le nez sur Dumais. Ils se sont prononcés deux fois durant le troisième tour. Ils ont d’abord jeté leur dévolu sur l’Autrichien Vinzez Rohrer des 67 d’Ottawa, avec le 75e choix. Puis Dumais était encore disponible au 92e échelon, mais on lui a préféré le défenseur suédois Adam Engstrom – qui fait très bien, lui aussi, par les temps qui courent. Quatre rangs plus tard, Dumais était réclamé par les Blue Jackets.
Plusieurs partisans du CH, certains plus nationalistes que d’autres, auraient aimé voir l’organisation opter pour ce talent local. Or, il semble que le Tricolore a fait ses devoirs, à tout le moins, et porté un intérêt particulier à l’endroit de Dumais.
«Je n’avais vraiment aucune idée de ma destination, mais c’est sûr que j’avais vraiment parlé beaucoup aux Canadiens, révèle le principal intéressé au TVASports.ca. Beaucoup plus qu’avec Columbus. Au final, je n’avais pas vraiment d’attentes, je savais que tout pouvait arriver au repêchage.
«J’avais parlé aux Jackets une fois dans la saison quand ils étaient venus à un de mes matchs. Après ça, il n’y a pas vraiment eu de discussions, contrairement à d’autres équipes auxquelles je parlais beaucoup. Columbus figurait parmi les équipes silencieuses.»
Comment un espoir aussi prolifique que Dumais en vient-il à être ignoré jusqu’au 96e rang du repêchage? Il est facile de jeter la pierre aux recruteurs, mais plusieurs facteurs compliquaient l’évaluation dans son cas.
Dumais est un petit joueur qui était difficile à cerner. Son coup de patin donnait des maux de tête aux artisans du milieu.
«C’est un petit joueur et ils ont déterminé que son coup de patin n’était pas assez bon, résume Favreau. Mais je crois que plusieurs ont réalisé, avec le recul, qu’il est rapide même si son coup de patin n’est pas fluide comme celui de Justin Barron, par exemple, que l’on a vu aussi à Halifax. Les gens ont raison : ce n’est pas un coup de patin fluide. Sauf que Jordan demeure un des joueurs les plus rapides. À ce que je sache, il se rend du point A au point B plus rapidement qu’un autre.»
On aurait pu croire à des problèmes d’attitude quand Dumais, insatisfait de son classement sur la liste nord-américaine, a indiqué en entrevue avec Katherine Harvey-Pinard de La Presse que les recruteurs de la Centrale n’étaient pas de «vrais recruteurs».
«Les mots qu’il a choisis n’étaient peut-être pas les bons», admet Favreau, qui y voit surtout une maladresse de la part d’un jeune homme avec une saine estime de soi.
L’entraîneur-chef des Mooseheads nie en bloc les spéculations et bobards remettant en question l’attitude de son joueur.
«Il a zéro problème d’attitude. […] C’est un petit gars exceptionnel. C’est un travaillant. Il veut être un joueur de hockey.»
Un artiste
Sylvain Favreau peine à comprendre les jeux que Dumais réussit à réaliser sur la patinoire.
«Il voit des choses que personne ne voit. Il attend une fraction de seconde de plus avec la rondelle ou il agit une fraction de seconde plus rapidement. Il fait des jeux et t’es comme… tabarnouche! Tu regardes la vidéo après et tu ne sais pas comment il a vu ça. Ça ne s’enseigne pas. C’est naturel. C’est inné.»
Au-delà de ce don, Dumais est aussi un travaillant qui a, selon son entraîneur, des qualités qui se transposent dans la LNH.
«L’an passé, il était premier pour les revirements provoqués. Il joue avec une hargne et une ténacité, et je pense qu’ils ont vu cela à Columbus au camp des recrues.»
Le principal intéressé ne se fait toutefois pas d’illusions concernant les aspects de son jeu à améliorer d’ici son arrivée chez les professionnels.
«Je sais que je ne suis pas lent, mais j’ai beaucoup de travail à faire sur mon coup de patin, reconnaît Dumais. Je ne dirais pas que mon coup de patin est vraiment bon. Pas du tout. Je sais que, considérant ma grosseur, pour aller au prochain niveau, il faudra que mon coup de patin ne soit pas moyen, mais vraiment bon. Je suis conscient de ça et je travaille beaucoup là-dessus.
«L’été dernier, j’ai fait des séances individuelles avec un entraîneur de patinage toutes les semaines. Parfois deux fois par semaine.»
Parcours unique
Après le gabarit et le coup de patin, il y a un troisième facteur qui explique pourquoi les recruteurs ont mis du temps avant de voir Jordan Dumais dans leur soupe.
Dumais a emprunté un parcours unique : plutôt que d’évoluer dans le M18 AAA (ligue que l’on appelait jadis le midget AAA) comme le font l’essentiel des jeunes Québécois les plus prometteurs, il s’est tourné vers un prep school américain dans le village de South Kent au Connecticut.
Cette décision a affecté sa visibilité et contribué au fait qu’il passait un peu sous le radar à son arrivée dans la LHJMQ.
«Je n’étais pas aussi connu que d’autres gars qui ont joué au Québec, mais au bout du compte, je crois que c’était bénéfique pour moi d’aller au prep school, gagner en maturité et jouer beaucoup plus de matchs là-bas», fait valoir le natif de l’Île-Bizard.
Initialement, la LHJMQ ne faisait pas partie du plan, ce qui explique le trajet inusité. Il faut croire que plusieurs chemins mènent à Rome.
«C’était pour avoir des offres de première division dans la NCAA aux États-Unis, explique Dumais. Je n’étais pas trop sûr de ma destination [avant d’opter pour la LHJMQ]. Pour être honnête, quand j’étais jeune, je me voyais aller à l’école et jouer au hockey universitaire. Finalement, j’ai décidé de faire confiance à mes habiletés de hockeyeur.»
Pas une vilaine décision, avec le recul.