Kevin Owens et Sami Zayn: une ascension aussi formidable qu’improbable
17 février 2007. Philadelphie, Pennsylvanie. Spectacle de la Ring of Honor.
Plus tôt ce matin-là, Kevin, Rami (Sami, que je vais appeler Rami ici si vous me permettez) moi et un de nos amis conduisons vers le National Guard Armory, où l’événement a lieu.
C’est le retour de Kevin Steen et El Generico à la Ring of Honor. En fait, Rami y était retourné à deux reprises à la fin de l’année précédente. Rien de régulier n’en avait découlé.
En chemin, les gars sont un peu anxieux. Les deux avaient eu une chance avec ROH en 2005. Mais elle avait été de courte durée. Ça n’avait pas cliqué. Entre-temps, ils avaient travaillé à parfaire leur travail en luttant à la PWG, un peu partout aux États-Unis, au Japon et j’en passe.
Je me souviendrai toujours. Quelque part sur la 87 vers Philadelphie, Kevin nous dit que si ça ne fonctionne pas cette fois-ci, il va commencer à penser à faire autre chose de sa vie.
Le match est important.
Le scripteur est Gabe Sapolsky. Il ne veut pas que ses lutteurs s’exécutent en t-shirt. Kevin a son «singlet», un maillot à la Kurt Angle. Rami, en Generico, a un masque et une culotte longue. Mais malheur survient. À quelques jours du spectacle, Rami subit une infection staphylococcique. Kevin est stressé. Il se demande si ça ne viendra pas leur nuire. Plus de peur que de mal. On décide de le faire lutter en t-shirt et le match a lieu comme prévu.
Leurs adversaires? Mark et Jay Briscoe.
Le but des Briscoes est de faire bien paraître les deux Québécois. Et c’est ce qui arrive. Assis dans la foule, je savais qu’on avait quelque chose de spécial quand la foule s’est mise à crier leur contentement pour les quatre lutteurs.
Les Briscoes gagnent le match, mais Kevin et Rami ont gagné tout le reste.
Alors qu’ils traversent les rideaux, Sapolsky leur dit «Home run guys, home run!»
Leur carrière était lancée.
1er avril 2023. Los Angeles, Californie. C’est WrestleMania.
Un événement qui, 16 ans plutôt, n’était qu’un rêve inatteignable pour des gars comme Kevin et Rami.
Mais ils ont travaillé fort pour y arriver. Pas seulement avant d’être signés par la WWE, mais aussi depuis.
En 2019, Kevin n’avait même pas de match à WrestleMania, alors que pour Rami, les blessures ne l’avaient pas aidé à bien se positionner.
Et même dans les semaines et les mois qui ont précédé la soirée d’hier, il y avait tellement de doutes et de questions entourant leur match.
«Ils auraient dû faire gagner Sami à Montréal!»
«Ils auraient dû réunir Kevin et Sami à Montréal!»
« Charlotte et Rhea vont faire la finale!»
«Ils vont faire gagner les Uso!»
«Vince va tout changer!»
Et sérieusement, les craintes étaient fondées. Le tout aurait pu prendre une tout autre tangente 100 fois plutôt qu’une. Quelqu’un aurait pu se blesser. Un autre talent aurait pu convaincre les dirigeants de le mettre en finale. On aurait pu faire pression pour que les titres ne changent pas de mains.
Mais à l’interne, la décision était certaine depuis longtemps, autant sur la place que le match occuperait que sur l’issue de celui-ci.
20h30 heure du Pacifique. 23h30 au Québec.
Après plus de trois heures de spectacle, c’est le moment tant attendu. La cloche est sur le point de sonner pour annoncer le début du combat.
La pression est à son paroxysme, parce que jusqu’à présent, on assiste à tout un WrestleMania.
John Cena a ouvert le tout avec les enfants de la fondation Make-a-Wish. Le quadruple menace par équipe a été spectaculaire. Seth Rollins contre Logan Paul a répondu aux attentes et même davantage. Le trois contre trois tout féminin, sans être mauvais, était correct, sans plus. Mais tout de suite après, les Mysterio père et fils ont livré la marchandise. Charlotte et Rhea n’ont peut-être pas fait les frais de la finale, mais elles ont offert l’un des meilleurs combats féminins de l’histoire de la compagnie.
Bref, tout le monde a été bon. L’échec n’est pas une possibilité. Il n’y a même pas de place pour l’erreur. Et erreur il n’y a pas eu.
Vers les 20h54, après plus de 20 minutes endiablées, Rami fait un tombé sur Jey.
Un. Deux. Et trois!
Les trois secondes que ces deux gars-là attendaient depuis longtemps. Kevin et Rami réussissent l’impossible. Ils sont champions par équipe de la WWE.
Debout dans la section 216 du stade, je fonds en larmes. Littéralement et pendant plusieurs minutes.
Entouré de trois de mes amis, j’étais inconsolable. Comme si une partie de moi était dans l’arène avec eux.
Parce que j’ai été un témoin privilégié de cette ascension aussi formidable qu’improbable. J’ai été témoin des sacrifices que ces gars-là ont faits depuis 20 ans.
Je parlais au téléphone avec Kevin lorsqu’il était encore pompiste parce que la lutte n’était pas assez payante. J’étais avec les deux quand on faisait des allers-retours Montréal-Philadelphie pour sauver une chambre d’hôtel que le promoteur ne payait pas toujours ou parce que simplement, un des deux travaillait le dimanche.
J’ai envoyé un texto à Kevin et Rami après leur match. Quelque chose de court, de simple. Ils ont dû recevoir des dizaines et des dizaines de textos. Parce que ce sont, pour vrai, deux bons gars. Deux bons gars qui n’ont jamais oublié d’où ils sont arrivés et qui les a aidés.
Ils avaient le logo de la PWG sur leurs costumes. En conférence de presse, Kevin a pris le temps de remercier Super Dragon et les Briscoes. Et je ne veux pas faire de remerciements à leur place, mais la liste est longue.
J’ai parlé à Terry, le père de Kevin, qui était sur place. J’ai écrit à Suzanne, sa mère, qui a dû demeurer à Marieville. J’ai écrit à Khadija, la conjointe de Rami. L’émotion, la fierté et la joie étaient à son comble.
J’ai candidement dit à Suzanne qu’il s’agissait du résultat de 20 ans de sacrifices pour toute la famille.
Et sa réponse était si simple: «Ça valait la peine!»
Ça valait la peine. Et pourtant, c’est beaucoup 20 ans. Vingt ans d’encouragement, vingt ans de tapes dans le dos. Vingt ans de paroles réconfortantes.
Mais après 24 minutes 17 secondes d’un match, c’est comme si les millions de minutes qui ont précédé ne comptaient plus.
Ça valait la peine.
Je repense souvent à ce weekend du 17 février 2007.
Quinze heures de route. Aucune certitude de ce que l’avenir leur réservait. Tout ça pour un salaire de crève-faim.
Et ce serait comme ça pendant encore plusieurs années. Mais ils n’ont jamais abandonné, ils ont travaillé fort et se sont imposés lorsque c’était le temps. Les heures sur la route, les blessures et les coups durs. Les cris, les pleurs et les déceptions. La vie de saltimbanque, loin de la famille, loin des enfants, loin de la conjointe.
Kevin. Rami. Sachez que je suis fier de vous. Sachez que votre famille est fière de vous. Sachez que les amateurs de lutte du Québec et d’un peu partout dans le monde sont fiers de vous.
Mais surtout, j’espère que vous êtes fiers de vous. Parce que parfois on est trop près de ce qu’on fait pour le réaliser, alors je souhaite de tout cœur que vous êtes fiers de votre travail et fiers de qui vous êtes devenus.
Votre carrière est loin d’être terminée. Et tout n’ira pas toujours au beau fixe. Vous allez rencontrer d’autres embûches et vous allez vivre d’autres déceptions.
Lorsque ça va arriver, souvenez-vous de cette date, rappelez-vous du 1er avril 2023. Rappelez-vous de comment vous vous êtes sentis à 20h54 hier soir.
Et dites-vous que peu importe la difficulté, ça valait la peine!
Un sans-faute
Voyez cette partie de mon texte comme un autre blogue. Parce qu’à part les émotions, j’ai d’autres choses à dire sur ce match historique.
On utilise une expression anglophone dans le monde de la lutte, «textbook match», qui veut dire dans le fond un match tout droit sortie du manuel d’instructions.
Et c’est ce que Kevin, Rami et les Uso ont offert comme performance. Un sans-faute comme on dirait en F1. Un match de 24 minutes qui a maintenu un bon rythme, qui a fait réagir les quelque 70 000 personnes sur place et surtout qui s’est terminé au bon moment.
Tu ne veux jamais faire trop long et manquer le summum de réaction que tu peux aller chercher chez les spectateurs. Tu veux, lorsque la cloche sonne, que ce soit la plus grosse réaction du combat. Et c’est exactement ce qui est arrivé hier soir.
Un chef-d’œuvre.
Le match en chiffres:
Je suis un gars de statistiques, vous le savez, alors en voici quelques-unes.
Grand chelem
Premièrement, Kevin devient le premier Québécois à obtenir le grand chelem à la WWE. Un vainqueur du grand chelem, c’est quelqu’un qui remporte le titre de la WWE ou Universel, le titre Intercontinental, le titre des États-Unis et les titres par équipe. Il devient le 23e de l’histoire de la WWE.
Plus de finales à WrestleMania – lutteurs canadiens
Bret Hart (3)
Kevin Owens (2)
Edge (2)
Chris Benoit (1)
Roddy Piper (1)
Chris Jericho (1)
Sami Zayn (1)
Lutteurs avec au moins deux finales de WrestleMania consécutives
Roman Reigns, Hulk Hogan, The Rock, John Cena, Randy Savage, Bret Hart, Triple H, Yokozuna, Steve Austin et Kevin Owens.
Plus de finales du premier soir de WrestleMania
Kevin Owens (2)
Owens est le seul avec plus d’une finale le premier soir.
Équipes toutes québécoises championnes par équipe de la WWE
Quebecers : Jacques Rougeau et Pierre-Carl Ouellet (3)
Kevin Owens et Sami Zayn (2)
Jacques et Raymond Rougeau (1)
Il faut rappeler qu’Owens et Zayn ont remporté hier les titres par équipe de Raw et les titres par équipe de SmackDown.
Ils deviennent aussi le premier duo tout québécois à remporter les titres par équipe de la WWE depuis les Quebecers, qui les ont remportés à trois reprises en 1993 et 1994. Dans le livre des records de la WWE, ce sont les deux seules équipes québécoises à avoir remporté les titres, mais techniquement, les frères Rougeau les avaient aussi remportés en août 1987, avant que la décision ne soit infirmée (Dusty finish).
Matchs par équipe en finale de WrestleMania
Hulk Hogan & Mr.T c. Roddy Piper & Paul Orndorff (1985, WrestleMania 1)
Kevin Owens & Sami Zayn c. Jimmy & Jey Uso (2023, WrestleMania 39)
Il s’agissait aussi de la première fois que les titres par équipe étaient défendus en finale d’un WrestleMania.
Québécois les plus titrés à la WWE
Chris Benoit (12)
Kevin Owens (9)
Sami Zayn (6)
Jacques Rougeau (5)
Sylvain Grenier (4)
Pat Patterson (3)
Rick Martel (3)
Prédictions pour WrestleMania, partie 2 :
En terminant, voici mes prédictions pour la seconde partie de WrestleMania. J’ai été 4 en 7 hier.
· Le champion incontesté de la WWE Roman Reigns c. Cody Rhodes
o Cody
· La championne féminine de Raw Bianca Belair c. Asuka
o Bianca
· Le champion Intercontinental Gunther c. Drew McIntyre c. Sheamus
o Gunther
· Edge c. Finn Balor dans un match de type Hell in a Cell
o Edge
· Brock Lesnar c. Omos
o Omos
· Liv Morgan & Raquel Rodriguez c. Nataklya & Shotzi c. Ronda Rousey & Shayna Baszler c. Sonya Deville & Chelsea Green
o Ronda & Shayna
Quatre de six!
Ceci est le quatrième de six blogues en direct de WrestleMania. Jeudi, je publiais une entrevue avec Kevin Owens. Vendredi, je vous entretenais sur Mike Bailey et l’ouverture des Dodgers. Hier, je vous parlais de SmackDown. Et demain, je reviendrai sur le deuxième soir de WrestleMania.