Le décès de Johnny Rougeau : 40 ans déjà – TVA Sports
J’ai souvent écrit et parlé de Johnny Rougeau. J’ai parlé de sa carrière de lutteur. J’ai écrit sur sa carrière dans le monde du hockey.
L’histoire, vous la savez.
Entraîné par son oncle Eddy Auger, il a été le dauphin d’Yvon Robert avant de devenir tenancier d’un des cabarets les plus populaires de Montréal, le Mocambo. De retour à la lutte, il a fondé les As de la Lutte, a fait équipe avec son frère Jacques, a eu des combats mémorables face à Ivan Koloff et Abdullah the Butcher, avant de s’impliquer dans le hockey junior comme propriétaire, coach et directeur gérant du National de Laval et de son joueur vedette, Mike Bossy. Il sera aussi un proche de René Lévesque.
En ce jour du 40e anniversaire de son décès, j’avais le goût d’en parler différemment. J’avais plutôt envie de vous parler de l’homme, de la personne, de l’être humain.
Raymond Rougeau, fils de Jacques et neveu de Johnny, a très bien connu son oncle Jean. Si bien qu’il était à son chevet lorsqu’il a pris son dernier respire.
« Cela faisait une dizaine de jours qu’il était dans le coma. J’avais aidé l’infirmière à le tourner de côté. Il a arrêté de respirer et je l’ai vu prendre son dernier souffle. L’infirmière a voulu sauter sur le téléphone pour que le médecin vienne le réanimer. Je lui ai dit de ne pas faire ça, que ça faisait 10 jours qu’il était dans le coma. Je lui ai dit de le laisser partir. Et l’infirmière s’est mise à pleurer. Elle s’était beaucoup attachée à mon oncle. Mon père avait été avec moi toute la soirée et il venait de partir, c’est moi qui lui ai annoncé que son frère venait de mourir. »
Le médecin lui avait parlé d’une autre opération qui pourrait peut-être prolonger sa vie de quelques semaines ou d’un mois. Mais Johnny avait refusé. Il était au bout du rouleau.
« Mon oncle avait dit : “C’est assez. Qu’on en finisse” », se souvient Raymond, qui, curieusement, était aussi présent au chevet de son grand-oncle Eddy Auger lorsque ce dernier a poussé son dernier souffle en 1973, ainsi qu’aux côtés de son père lorsque celui-ci est décédé en 2019.
Tout juste avant qu’il ne tombe dans un coma, le médecin avait augmenté la dose de morphine. C’est à ce moment que Raymond a eu une dernière discussion avec son oncle, de qui il était très attaché.
« J’me souvenais même plus ce que c’était de ne plus avoir mal. Ça fait du bien », auront été les dernières paroles de Johnny à son neveu.
Un amour fraternel inconditionnel
Né le 9 juin 1929, dans le quartier de la Petite Patrie, Jean, que le public connaîtra davantage sous le nom de Johnny, est le premier enfant d’Armand Rougeau et de son épouse Albina Auger. Moins d’un an plus tard, le 27 mai 1930, naissait son frère Jacques. Ils seront les deux seuls enfants du couple.
Cette faible différence d’âge aidera à créer un fort lien entre les deux frangins.
« C’est un amour inconditionnel entre les deux, raconte Raymond. Ils avaient 11 mois et demi de différence, les deux seuls enfants de la famille. C’était beau à voir la complicité et la proximité qu’ils avaient les deux. Un respect énorme entre les deux. Ce que je pense qui était le plus beau là-dedans, c’est que malgré qu’ils étaient deux personnes différentes – mon oncle c’était un homme de ville, mon père un homme de campagne, mon oncle c’était un homme public, mon père c’était un homme très privé – ils se complétaient très bien et la loyauté qu’il y avait entre les deux était inébranlable. »
Les deux frères se connaissaient aussi très bien.
Michel Bergeron, qui, comme bien des amateurs, connaissait Johnny de ses années de lutteur, l’a aussi connu alors qu’il était entraîneur des Draveurs de Trois-Rivières.
« Une fois, je me suis retrouvé au bar Vannini, dans l’est de Montréal, au bout de l’île, juste avant Repentigny. On était quatre ou cinq gars des Bombardiers de Rosemont. Et Jacques et Johnny Rougeau sont là. Arrivent quatre marins dans le bar. Johnny Rougeau mangeait bien installé au bar. Mais là, la chicane a pris entre les marins et Jacques Rougeau. J’ai pas besoin de te dire que ça n’a pas été long. Jacques a réglé le problème! Mais pendant ce temps-là, Johnny n’a pas arrêté de manger, il s’est pas occupé de ça du tout! »
« Bergie » continue:
« Ça m’avait toujours “buggé” ça. Des années plus tard, lorsque Johnny était propriétaire du National de Laval et que j’étais à Trois-Rivières, je lui avais parlé de cet incident et Johnny s’en souvenait. Je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas bougé et Johnny de me répondre: “Je savais comment c’était pour se finir!” »
Un homme qui imposait le respect
Bergeron se souvient aussi d’une rencontre de dirigeants de la LHJMQ.
« Johnny était intimidant, se souvient-il. Je me souviens dans un meeting, Rodrigue Lemoyne des Éperviers de Sorel s’était fâché, il avait fait une crise et avait cassé un verre. Johnny lui avait dit “Rodrigue, tu fais pas ça. Tu fais juste parler. Tu casses rien ici.” Par sa prestance, son physique et aussi sa façon de parler, le calme qu’il dégageait, il imposait le respect. »
Le calme est une qualité qui revient chez Johnny.
« Il était calme et posé. Très rassurant et très sécurisant, raconte Raymond. Je l’ai beaucoup aimé mon oncle Jean. Il a été un bon exemple pour moi. Il m’a montré les responsabilités qui viennent avec le fait d’être une personne publique. Il était fin! »
Un président de la LHJMQ impliqué
Le 13 juillet 1981, alors que le hockey de la LNH est en vacances, que le baseball est en grève et que la lutte tente de se donner un autre souffle, c’est Johnny Rougeau qui fait les manchettes.
En effet, presque 10 ans jour pour jour après sa première retraite du monde de la lutte, il est nommé président de la LHJMQ, en remplacement de Marcel Robert, le sixième à obtenir le poste.
Connaissant bien les rouages de la ligue, ayant été propriétaire, directeur gérant et entraîneur du National de Laval, il veut en faire plus pour les jeunes, veut davantage faire connaître les vedettes de la ligue et ses instructeurs, en plus de rentabiliser davantage le circuit par la recherche de commanditaires.
Le développement scolaire et la conciliation hockey et études sont également très importants pour Rougeau, qui suivra en ce sens les traces de son prédécesseur. Organisateur né, il ira chercher Jean Trottier, anciennement du Comité des jeunes de Rosemont, dans un rôle de conseiller pédagogique. Il amène aussi à ses côtés le contrôleur de la ligue, John Horman, à qui il donne la vice-présidence de la ligue. Horman avait érigé les bases de la LHJMQ en 1969 et avait collaboré à la création de la Ligue canadienne de hockey dans les années 1970. Il pouvait aussi compter sur un directeur administratif d’expérience en Paul Dumont.
Son côté nationaliste prend également le dessus alors que dès ses premières entrevues comme président, il mentionne qu’il veut se pencher sur la création d’une équipe junior toute québécoise. Il faut se rappeler qu’en 1981, le programme d’excellence canadien n’est pas créé, il le sera uniquement pour le tournoi de 1982. Ce sont encore les gagnants de la Coupe Memorial, avec quelques ajouts des autres équipes, qui représentent le Canada aux mondiaux juniors.
« Dans les meetings il était surprenant, confirme Bergeron. Il était près des dirigeants de la ligue. Ce n’était pas un coach de carrière ça c’est évident. C’était un organisateur, un fin négociateur. Il était poli et gentil. J’en garde que de bons souvenirs. »
Un cancer à 52 ans
Si les choses vont bien au niveau hockey, c’est au niveau de sa santé que ça se gâte.
Après s’être plaint de douleurs au ventre en novembre 1981, les médecins lui décèlent un cancer du foie le mois suivant. Il n’y a déjà plus rien à faire. On ne lui donne que quatre à six mois à vivre. Il passe deux semaines à l’hôpital St-Luc à Montréal, avant de sortir pour le temps des fêtes. Il ira ensuite rejoindre son frère Jacques en Floride question d’y voir plus clair.
« Il était serein, se souvient Raymond. Il me disait : “J’ai de la misère à croire qu’il me reste si peu de temps. Je me sens bien, je n’ai mal nulle part. ” »
Il continue tout de même de travailler.
C’est sous sa férule et durant cette période que la ligue revampe son match des étoiles, qu’elle ajoute les concessions de Drummondville et de Longueuil, en plus de voir au déménagement du Junior de Montréal du centre Paul-Sauvé à l’Auditorium de Verdun.
Mais le tout n’est pas de tout repos pour Johnny.
« Après quatre mois, il a eu une baisse dans son moral, note Raymond. Puis, un mois et demi plus tard, il voulait se battre et était déterminé à battre la maladie. Il s’est mis à s’entraîner, à prendre des vitamines, à augmenter ses portions de fruits et de légumes. Tout pour essayer de vivre le plus longtemps possible. »
Une qualité de vie avant tout
Les traitements ne sont pas évidents et empiètent sur sa qualité de vie.
« La chimiothérapie a été très dure sur lui, explique son neveu. Au point où il a décidé de tout arrêter. Sur sept jours, il feelait pas pire deux jours.
Au journaliste Réjean Tremblay, dans un article publié en juillet 1982, à la suite d’un match des Expos au Stade Olympique quelques jours auparavant, Johnny s’exprime davantage.
« Je suis probablement la personne qui profite le plus de sa soirée. Et certainement la plus malheureuse aussi. Quand on sait qu’on va mourir bientôt, qu’on souffre atrocement 24 heures par jour, on regrette de ne pas avoir vécu plus intensément chaque jour de sa vie, de ne pas avoir aimé mieux et davantage son prochain. »
Une semaine auparavant, il avait été reconduit dans son poste de président de la LHJMQ.
« Quand les gouverneurs de la ligue m’ont réélu à la présidence, ils m’ont touché. Je leur avais dire que je ne pouvais leur promettre l’année. Je ne peux même pas leur promettre d’être là à l’ouverture de la saison », dit-il, très lucide que les gouverneurs ont certainement voulu le remercier de tout le travail précédemment accompli.
Travail et hommages
Mais avant de mourir, Johnny voulait pouvoir raconter sa vie. Le 30 août 1982, il lance son autobiographie.
Le premier ministre du Québec, René Lévesque, était au lancement.
« J’ai connu Johnny pendant la campagne électorale de 1960. Et depuis, j’ai toujours admiré son courage. C’est un Québécois assez extraordinaire, mais pour moi, c’est surtout un ami », avait-il dit à La Presse.
Du courage, il en faut dans ces circonstances.
« Il avait une force de caractère, il ne s’apitoyait pas sur son sort, affirme Raymond. Je l’ai trouvé très fort. »
Il fait une tournée de promotion pour son livre, qui deviendra un best-seller, donne des conférences, participe à une étude de recherche sur le cancer, visite des prisonniers et est reçu pour des hommages un peu partout. Le 30 octobre, c’est au tour du Canadien de lui en rendre un alors que Johnny est invité à faire la mise au jeu protocolaire. Un heureux mélange de ses deux passions, le hockey et le Forum, là où il a fait sensation comme lutteur. On dit du côté du Canadien qu’on lui rend hommage pour sa contribution comme président de la ligue junior. Dans les faits, on tient à lui faire un dernier adieu.
Et malgré tout, il continue son travail comme président de la LHJMQ. Maladie ou pas, Johnny ne se laisse pas impressionner par personne. Il donne des suspensions et des amendes à certains, il met en demeure d’autres, en plus d’assister à un bon nombre de parties.
Un dernier tour de piste
Mais depuis le début de l’année 1983, son visage commence à être amaigri. Au mois d’avril, il quitte rejoindre son frère en Floride.
C’est d’ailleurs durant ce séjour en Floride qu’un record est brisé, alors que 17 860 personnes voient les Chevaliers de Longueuil de Jacques Lemaire affronter le Canadien Junior de Verdun et son joueur étoile Pat LaFontaine au Forum de Montréal dans la série finale de la ligue. De façon générale, les assistances avaient grimpé dans le circuit depuis son arrivée à la présidence. Lui qui avait mené sur ses épaules le projet d’expansion à Longueuil et à Drummondville, Johnny était très content de ce record.
« Maintenant, je peux mourir en paix », avait-il déclaré au micro de Tom Lapointe.
Johnny passera un mois en Floride. Un mois rempli de souvenirs pour les deux frères.
« Vendredi dernier, avant de quitter la Floride, il m’a demandé de le promener un peu partout pour voir le plus de choses possible, il savait que pour lui c’était la dernière fois, racontait Jacques Rougeau père à La Presse. C’était bien dur à entendre. »
À son retour le vendredi 13 mai, même refrain. Il demande qu’on lui fasse faire le tour des endroits qui avaient été marquants pour lui comme le centre Paul-Sauvé et le Forum. Il ne voulait pas rentrer à l’Hôpital St-Luc immédiatement. Finalement, vers 19h, il y est entré pour une dernière fois.
Sa plus grande tristesse
Après une vingtaine d’années de mariage, Johnny s’était séparé de son épouse Jacqueline au début des années 1970. Ses filles, Louise (née en 1952) et Suzanne (née en 1959), ne lui parleront plus jamais. À plusieurs reprises depuis qu’il se savait malade, et ce, jusqu’à la toute fin, par l’entremise de certains amis, tels Bob Langevin et Guy Soucy, il avait demandé à leur parler, sans succès.
« Ce fut la plus grande tristesse de sa vie », affirme Raymond.
Suzanne, qui avait accepté la bague d’intronisation au temple de la renommée de la LHJMQ au nom de son père en 2015, s’est refusée à tout commentaire sur cet anniversaire et sa relation avec son père lorsque j’ai communiqué avec elle.
Quelques jours après avoir été admis à l’hôpital, il entrait dans un coma duquel il ne se réveillera plus jamais.
Le 25 mai, vers 22h 55, il rendait l’âme, accompagné de celui qu’il considérait comme le fils qu’il n’avait jamais eu. Trois jours plus tard, plus de 7 000 personnes assisteront à ses funérailles.
« Un homme charismatique, un gars généreux, un gars fin, un gars agréable, un gars avec de la classe, qui s’est fait respecter. Cette générosité-là, c’est ça que j’aimerais que les gens se souviennent de lui », résume Raymond.
Et s’il avait la possibilité de lui parler aujourd’hui, qu’est-ce qu’il aimerait pouvoir dire à son oncle?
« J’aimerais lui dire merci pour les précieux conseils et l’enlignement qu’il m’a donnés. Et j’aimerais lui demander, heille mon oncle, es-tu fier de ce que j’ai accompli dans ma vie? »