Le fabuleux parcours d’un dirigeant québécois des Panthers

«J’étais récemment avec des amis à Montréal et ils me disaient tous que les Panthers devaient accumuler les défaites (rires). Donc oui, je sais pertinement comment les partisans du CH voient les choses, en ce moment!»

Depuis ses souliers de directeur administration hockey des Panthers de la Floride, le Québécois Jérôme Burke est assurément l’une des personnes les mieux placées pour comprendre à quel point les performances de son club, d’ici la fin de la saison 2022-2023, auront un impact direct sur le futur des Canadiens de Montréal. 

En mars 2022, le directeur général du CH Kent Hughes échangeait le défenseur Ben Chiarot à l’organisation floridienne. En retour, Bill Zito, le DG des Panthers, lui cédait l’espoir Ty Smilanic, un choix de quatrième ronde en 2022 et un choix de premier tour au repêchage de cette année (2023). Et ce choix de première ronde n’a pas été protégé par Zito, au moment de la transaction.

Concrètement, cela signifiait que plus les Panthers connaissaient une campagne 2022-2023 difficile, plus le choix envoyé au CH aurait des chances d’être élevé. Tout ça alors que le repêchage 2023 est qualifié «d’extrêmement prometteur» depuis un bon moment déjà. 

Si plusieurs n’ont pas vraiment porté attention à la mention «choix non-protégé» lorsque la transaction a été annoncée, c’est que les Panthers étaient largement pressentis pour être une équipe de tête, cette année. La non-protection de la sélection de premier tour n’aurait donc que très peu d’importance, croyaient à l’époque les partisans des deux équipes. 

Mais le monde du sport n’en est pas à sa première surprise : en ce 20 janvier et contrairement aux prédictions, la Floride occupe le 20e rang de toute la LNH. Le club joue à peine au-dessus de ,500 (malgré une retentissante victoire face au CH, jeudi). 

Constat : le choix transigé à Montréal fait actuellement partie de la fameuse loterie décidant de la destination du premier choix au total. Et cette sélection donne à Montréal une probabilité supplémentaire (3,5%) de mettre la main sur ledit choix (lire ici Connor Bedard).

Crédit photo : John Morris / Agence QMI

Comment s’est bâtie la transaction Chiarot, du côté des Panthers? La referaient-ils aujourd’hui? Quel est le véritable plan du club, d’ici la fin de la saison? 

Jérôme Burke, très généreux, a offert au TVASports.ca des réponses à toutes ces questions, en plus de se prononcer sur les situations de plusieurs joueurs du Tricolore qu’il a bien connus, lorsqu’ils évoluaient en Floride. 

Mais avant de parler du CH (ce qu’on fait déjà très souvent au Québec, de toute façon!), le sympathique homme de 39 ans nous a raconté comment il était parvenu à devenir l’un des cadres d’une formation de la Ligue nationale de hockey, un rôle que très (trop?) peu de Québécois ont l’honneur d’occuper dans le circuit Bettman. Voyez l’intégrale de son entrevue en vidéo principale.

Son histoire vaut la peine d’être lue. Et si vous voulez l’avis de l’auteur de ces lignes, elle est également digne d’un film qui aurait tous les éléments pour rapidement devenir un immense succès.

«Je n’ai jamais joué au hockey organisé»

La très grande majorité des principaux acteurs de la Ligue nationale a déjà joué au hockey. Pas nécessairement dans la LNH (quoi que plusieurs y ont évolué), mais au sein d’une équipe de hockey mineur organisé, du moins.

Mais pas Jérôme. 

«Je suis un Québécois et je mange du hockey comme pas mal tout le monde au Québec. J’ai toujours aimé ça. Mais je ne jouais que dans la rue et à la patinoire du coin.»

À l’université, Burke étudie en finances et en commerce international. Il gradue en 2008, mais ne sait pas trop quoi faire ensuite.

Au cours de cette période, le Junior de Montréal fait son entrée dans la LHJMQ et s’implante à Verdun. Il y voit une opportunité.

«J’y ai fait mes débuts comme stagiaire. Je travaillais à la comptabilité de l’équipe. J’ai fait ça pendant deux ans et ça m’a bien introduit au monde du hockey. J’ai eu la piqure très rapidement.»

Crédit photo : LHJMQ

Au terme de deux saisons, Burke, éternel ambitieux et à la recherche d’avancées professionnelles, décide de quitter le navire. Il jette rapidement son regard vers les États-Unis.

«J’ai compris assez vite que le marché de Montréal n’était pas si grand. Il y a les Canadiens dans la LNH, puis les Alouettes ou le CF Montréal, mais ces deux clubs n’offrent pas beaucoup d’opportunités.

«C’est là que j’ai choisi d’envoyer ma candidature à la Florida Atlantic University pour y faire une maîtrise en gestion sportive. L’école est située à Boca Raton. J’ai choisi cet endroit parce que le programme était bâti selon une structure qui demandait un stage à l’issu de ton cheminement académique. Je savais aussi qu’en Floride, tous les sports majeurs étaient représentés et bien présents.»

Le jeune homme est finalement sélectionné par l’établissement. Il quitte pour la Floride rêveur, mais sans savoir ce qui l’attend. 

Chez les Panthers le jour, sur le divan d’un ami le soir 

À peine quelques mois après son arrivée en Floride, Jérôme Burke reçoit une première bonne nouvelle : on lui propose un stage qui l’emballe particulièrement.

«Les Panthers de la Floride m’ont offert ma première opportunité de stagiaire! C’était dans le département des finances. Les Panthers! Je n’y croyais pas.»

Pour Jérôme, il s’agit d’une immense occasion de démontrer son savoir-faire et il en est conscient. Mais ce qu’il faut toutefois comprendre, c’est que peu importe la charge de travail qu’on lui donne ou le succès qu’il connaît, le stage n’est pas rémunéré.  

«J’ai pris des prêts pour être en mesure de payer mes études supérieures et mes parents m’ont aussi aidé. J’ai grindé. Je voulais juste m’implanter. J’ai travaillé bénévolement pendant huit mois, en bout de ligne. 

Un jour, un nouveau groupe de propriétaires débarque chez les Panthers. Clairement, ils aiment la besogne abattue par Burke. Ils lui offrent un salaire.

«J’étais content de voir qu’ils m’appréciaient. Mais ce qu’on m’offrait, c’était le salaire minimum et ce n’était pas encore assez pour vivre en Floride, honnêtement. Pendant un bon moment, j’ai dû dormir sur le divan d’un ami. Je manquais carrément d’argent. 

«J’ai aussi eu à vivre avec trois colocs pour arriver à me loger. Il fallait quand même que j’aie un toit! Mais tout ça, pour moi, ce n’était pas de gros efforts. Je m’étais dit, en quittant Montréal, que j’allais tout faire pour réussir. Et c’est ce que j’ai fait.» 

La vie des gens riches et célèbres

Et tous ses sacrifices finissent par payer.

«À un moment donné, j’ai eu envie d’expérimenter le côté hockey de la business. Ce n’est pas que je n’étais pas heureux du côté des finances, mais en tant qu’amoureux de sport, j’étais intrigué de savoir comment on bâtissait une équipe, comme on l’amenait vers le sommet. Au cours de la même période, j’ai terminé ma maîtrise et Dale Tallon, qui était alors DG et qui est lui aussi Québécois, m’a donné une chance.»

Nous sommes alors en 2014. Tallon propose à Burke le poste de directeur des services de l’équipe (secrétaire de route).

«J’ai fait ça jusqu’en 2016. Je voyageais partout en Amérique du Nord et je m’assurais que chaque voyage se passe bien pour l’équipe. Je m’occupais de tout, en fait!»

Cette première expérience hockey chez les Panthers lui permet d’assimiler ce que représente réellement le monde de la LNH. 

«Je me souviens de mon premier repêchage. C’était en 2014 à Philadelphie. L’année où on a sélectionné Aaron Ekblad. C’était l’un de mes premiers mandats. Nous étions assis à la première table à côté de la scène. L’équipe m’avait annoncé un peu avant que j’aurais ma place autour de cette table. Je ne m’en doutais pas du tout. J’avais des amis qui me textaient pour me dire qu’ils me voyaient à la télévision. Honnêtement, j’avais l’impression de rêver!»

Crédit photo : USA TODAY

Le Québécois enchaîne avec une loufoque anecdote. 

«Je ne savais pas à quel point c’était réel, mais tu ne manques d’absolument rien, quand tu travailles pour une équipe de la LNH. L’argent qui est dépensé pour les joueurs, pour les dirigeants, c’est juste fou. Et je ne te parle même pas de salaire! Les hôtels, la nourriture… Honnêtement, le nombre de repas que j’ai vu et ingérés… Je ne les compte même plus! 

«Je me souviens de ma première fois dans l’avion privé de l’équipe. Tu t’assois dans les gros bancs de cuir et tu te dis : “c’est ça, la LNH!”. C’est aussi un moment où tu te parles et te lances à toi-même: “wow! Je l’ai fait. J’ai réussi!” À chaque vol, tu as droit à un menu. C’était comme si je n’avais jamais mangé de ma vie! Je prenais un repas à chaque vol, même si c’était un voyage d’une heure et qu’il était 23h le soir! J’ai dû prendre 15 livres, à ma première année! Dans la LNH, tout ce que tu veux, tu l’as. Et c’est évidemment la réalité des joueurs également. Tu veux qu’ils n’aient la tête qu’au hockey.»

«Shawn Thornton ne m’aimait pas la face!»

 Malgré les indéniables (et nombreux) avantages liés au poste de secrétaire de route, tout n’est pas rose pour Burke.   

En 2014, Shawn Thornton, ancien homme-fort des Bruins de Boston, est acquis par les Panthers. Et il semble se faire un devoir de rendre la vie professionnelle du Québécois absolument misérable.

«Il ne m’aimait pas la face, parce que je venais du Québec. Il a vraiment essayé de me casser! Il me disait des choses comme “c’est comme ça que les choses se passent, dans la LNH”. Il me garochait les pires absurdités quand, par exemple, il manquait quelque chose à l’hôtel ou qu’un avion était en retard. Ça n’a vraiment pas été facile, mais j’ai compris que peu importe le rôle que tu occupes dans une organisation de la LNH, tu dois toujours prouver aux autres que tu mérites ta place. 

Crédit photo : Martin Chevalier / JdeM

«Je n’ai pas lâché et au bout d’un an, les choses se sont replacées. Shawn m’appréciait finalement et aujourd’hui, il est l’un de mes meilleurs amis. On en parle parfois et on rit de bon cœur.»

L’expérience de Burke en tant que secrétaire dure finalement deux ans.  

«J’ai vraiment eu du plaisir à faire ça, mais c’est un emploi vraiment très demandant. Quand tu dois gérer les déplacements de 60 personnes à chaque deux jours, c’est du sport! Je m’occupais des repas de l’équipe, de l’avion, de l’immigration et de tout ce qui touchait l’horaire des gars. Je faisais tout ça en partenariat avec l’entraîneur-chef et le directeur général. Tu dois vraiment être organisé et ce poste m’a appris à être constamment sur le qui-vive. Ce fut hyper formateur.»

L’homme de confiance de Bill Zito

2016. Jérôme retourne travailler dans le département marketing de l’équipe.

«Les finances du club n’étaient pas à leur meilleur et les propriétaires de l’équipe m’ont demandé d’aider à redresser la barque. J’ai accepté, car le travail de secrétaire de route allait finir par briser ma santé mentale, à long terme. Je le savais pertinemment. J’ai donc commencé à prendre en charge les budgets du club, les rapports financiers et les projections. Je dirigeais les stratégies de vente et corporatives.»

Un an plus tard, on lui offre une promotion.

«Notre président est venu me voir et il voulait que je devienne son bras droit. C’était vraiment une opportunité en or! Autant j’étais arrivé en Floride avec l’idée de travailler du côté hockey, autant je gravissais les échelons rapidement côté finances et cela me faisait aussi découvrir un univers passionnant. 

«Les Panthers n’avaient jamais été en grande demande en Floride, donc c’était un beau défi pour moi de créer une image de marque attrayante pour les gens.»

Crédit photo : Courtoisie – Jérôme Burke

Les années passent et Burke, bien que très heureux, caresse toujours l’ambition de s’établir à long terme dans le secteur sportif de l’organisation. 

Arrive alors une autre opportunité.

«En septembre 2021, l’équipe a engagé Bill Zito au poste de DG. La saison commençait quelques mois plus tard et il devait relativement rapidement se former un personnel autour de lui. J’ai vite côtoyé Bill, car c’est moi qui lui a décortiqué les finances des Panthers, à son arrivée. Sachant que j’avais toujours l’envie de revenir dans le département hockey, notre ancien président est allé voir Bill pour lui signifier mon intérêt et il m’a donné le poste que j’occupe maintenant depuis un an et demi : celui de directeur administration hockey.»

Et que fait un directeur administration hockey, au quotidien?

«Je m’occupe de gérer tout ce qui touche au budget et aux dépenses de l’équipe. Les salaires et tout ça. Je produis des rapports pour Bill Zito, qui prend ensuite les décisions. Je participe aux réunions hockey. Je pensais que je connaissais le hockey, mais quand je vois les critères sur lesquels se basent nos recruteurs avant de faire un choix final au repêchage, je me rends compte que je suis loin du compte! C’est aussi passionnant de voir comment les dirigeants bâtissent une culture dans le vestiaire, bâtissent un groupe qu’ils pensent capable d’aller loin.»

«Tu me rends un peu émotif…»

Nous y voici donc. Jérôme Burke, un Québécois dans la trentaine n’ayant jamais joué au hockey et ayant tout abandonné en 2010 pour emprunter un chemin parsemé de points d’interrogation est maintenant l’homme à tout faire du directeur général des Panthers de la Floride Bill Zito.

Réalise-t-il l’ampleur et la rareté de ce qu’il est parvenu à accomplir?

«Tu me rends un peu émotif! C’est sûr que quand je pense à mon cheminement, je suis fier. C’est quelque chose que je pourrai raconter à mes enfants, plus tard. Je vais avoir ce bagage-là avec moi pour le restant de ma vie.

«Il y aura eu quelques épisodes plus difficiles, mais je ne changerais absolument rien à ce qui s’est passé. C’était une grosse décision de partir de chez nous à l’époque, mais je suis tellement reconnaissant de la façon dont les choses ont tourné. Je me dis que tout arrive pour une raison. J’ai rencontré ma femme ici. Nous aurons notre premier enfant bientôt. Je me suis fait des amis. On est en janvier et il fait 30 degrés au moment où je te parle. Je suis heureux comme jamais.»

507048105ES001_Bluejackets_Panthers

Crédit photo : Courtoisie – Jérôme Burke

Et après tous les échelons gravis en 13 ans, quel serait maintenant son rêve le plus fou?

«Tout le monde veut devenir directeur général! Mais il faut comprendre que tu ne deviens pas DG en claquant des doigts. C’est beaucoup plus que simplement faire des échanges, ce poste-là. Tu as un personnel d’environ 60 personnes à gérer en plus des joueurs et des entraîneurs. Tu as constamment des comptes à rendre à ton propriétaire. Être président ou DG, ce serait mon rêve. Mais il faut tellement de compétences et de caractéristiques avant de te lancer là-dedans! Parce qu’une fois que tu es dans la chaise que tu convoites, tu es sous la loupe et tu dois livrer…»

Jérôme Burke sur…

L’échange de Ben Chiarot

«On aimait le joueur et on pensait que ce qu’il allait nous apporter en séries était beaucoup plus important que de conserver un choix de première ronde. Peut-être aussi qu’on pensait qu’on allait mieux performer qu’actuellement cette année. Ce n’est pas à chaque année que tu peux prétendre à remporter la coupe Stanley, donc quand tu vois la fenêtre, tu essaies de garnir ton effectif du mieux que tu le peux. J’ai beaucoup de respect pour ce que Bill Zito a essayé l’an dernier, même si ça n’a pas fonctionné, en bout de ligne. 

«En tant que DG, c’est sûr que tu ne prendras pas que de bonnes décisions, mais tu dois être agressif quand le moment semble opportun parce que dans cette ligue-là, ceux qui n’essaient rien n’ont pas de succès. Et cette décision n’est pas liée qu’à Bill. De grosses transactions comme celles-là doivent être approuvées par tous les membres de la direction et par les propriétaires.»

Le plan des Panthers, en cette fin de saison

«Au cours de chaque saison, il y a des hauts et des bas. Il y a beaucoup de talent au sein de l’équipe, donc je ne suis pas inquiet. La perte d’Anthony Duclair nous a fait très mal, donc on espère qu’il sera en mesure de revenir bientôt. Oui, le temps presse, mais on fera tout ce qu’il faut pour participer aux séries et remporter la coupe Stanley.»

Le véritable potentiel de Michael Matheson

«Il est tellement talentueux! J’ai connu Mike à ses débuts dans la LNH et c’est honnêtement l’un des meilleurs patineurs que j’ai vu à l’œuvre. Pour lui, l’objectif doit être, à court terme, de demeurer en santé. De cette façon, il jouera des matchs et retrouvera sa confiance. Il a assurément ce qu’il faut pour être bon encore longtemps.»

La mise au ballottage de Samuel Montembeault

«Au moment où on a pris la décision, c’était dans le meilleur intérêt de l’équipe, mais aussi du joueur. Samuel voulait jouer dans la LNH et je suis content de voir où il en est aujourd’hui. De nos jours, les équipes qui ne fonctionnent qu’à un seul gardien, ce n’est plus vraiment la norme. Tu as besoin de deux, voire trois bons gardiens pour aller loin en séries.»