Mardi noir à la WWE

On va se souvenir longtemps de la soirée du 10 janvier 2023 et pas nécessairement pour les bonnes raisons.

Celle-ci a débuté avec une onde de choc : la démission de Stephanie McMahon de son poste de co-PDG de la WWE. Puis, quelques heures plus tard, et bien que la nouvelle ne soit pas encore confirmée, plusieurs médias spécialisés annonçaient que la WWE aurait été vendue aux fonds publics d’investissement de l’Arabie Saoudite.

En d’autres mots, un mardi noir dans l’histoire de la WWE.

Depuis vendredi dernier, avec le retour de Vince McMahon au sein du conseil d’administration, on savait que la WWE était à vendre. Toutefois, on ne pensait pas que le processus était pour se faire si rapidement.

La volte-face de Stephanie McMahon

La chronologie des événements dans ce dossier est d’ailleurs particulière.

Le 20 décembre, Vince McMahon fait une demande au conseil d’administration afin de revenir au sein de celui-ci.

Le 27 décembre, le C.A. lui répond par écrit que sa demande a été refusée à l’unanimité, conseil qui comprenait Stephanie McMahon, Nick Khan et Paul « Triple H » Levesque.

Le 5 janvier, Vince McMahon avise le C.A. que si on ne lui permet pas de revenir, il va bloquer toute vente et toute entente télévisuelle future, ce qu’il peut faire par son statut d’actionnaire majoritaire.

Le 6 janvier, Vince McMahon revient officiellement au sein du C.A., en compagnie des anciens co-présidents de la compagnie, Michelle Wilson et George Barrios. McMahon congédie trois membres du C.A. pour leur faire de la place, alors que deux autres membres démissionnent.

Toujours le 6 janvier, Stephanie, le co-PDG Nick Khan et le président et directeur financier Frank Riddick, tiennent une rencontre avec les employés (non-lutteurs) leur disant que rien ne va changer dans la structure de la compagnie. Vince revient, mais les autres cadres gardent leur poste respectif, incluant Stephanie.

Le 10 janvier, Stephanie McMahon démissionne de son poste de co-PDG et de présidente du conseil d’administration, devenant ainsi la sixième personne à quitter le C.A. de la WWE en quatre jours. La WWE confirme que Vince est de retour comme président du C.A.

Mais diantre, qu’est-ce qui a bien pu pousser Stephanie McMahon à se retirer aussi subitement?

Cette volte-face pourrait s’expliquer par la vente à des intérêts saoudiens, pays qui, comme on le sait, n’a pas une grande considération de la femme. On voulait peut-être conclure la vente avec un homme ou avec Vince McMahon plus précisément.

Peut-être l’a-t-on aussi obligé à quitter son poste. Après tout, Stephanie a voté contre le retour de son père le mois dernier.

De plus, ce ne serait pas la première fois que Vince obligerait Stephanie à quitter au cours de la dernière année. En juin dernier, peu de temps après le départ de Stephanie en congé sans solde, un article publié dans le Business Insider suggérait qu’il s’agissait plutôt de l’idée de Vince McMahon et non pas d’un congé de son propre gré. D’ailleurs, même si son congé se voulait temporaire, on avait tout de suite annoncé l’embauche de Catherine Newman à la tête du marketing, le département que Stephanie s’occupait, prenant la peine de préciser que l’héritière McMahon n’avait pas rempli ses objectifs dans son département.

Des milliards dans le blanchiment par le sport

Au niveau de la vente, celle-ci se tramerait depuis quelques mois.

En effet, Vince McMahon aurait commencé à parler avec les représentants de l’Arabie saoudite après avoir été forcé de quitter la compagnie l’été dernier.

Est-ce l’Arabie saoudite qui a communiqué avec Vince McMahon ou est-ce que c’est plutôt Vince qui aurait communiqué avec le gouvernement saoudien dans le but de leur offrir la WWE, sachant que ce serait l’occasion pour lui de revenir au sein de la compagnie afin de la vendre?

On ne sait pas, mais une chose semble être sure : les pourparlers menant à cette transaction n’ont pas débuté après l’annonce de vendredi dernier. Il s’agirait plutôt du résultat de plusieurs mois de négociations, ce que demande d’ailleurs un tel accord.

Une vieille relation entre McMahon et l’Arabie saoudite

S’il s’agit du dénouement suggéré, il ne faut pas s’en surprendre.

La relation entre Vince McMahon et l’Arabie saoudite remonte aux années 1980. La WWF de l’époque y faisait des tournées, de même que dans d’autres pays du Moyen-Orient. On a arrêté d’y aller pendant plusieurs années, avant d’y retourner en 2014.

Toutefois, c’est vraiment en mars 2018 que l’argent saoudien a été mis à contribution, alors qu’une entente a été annoncée entre la WWE et le gouvernement saoudien afin d’y présenter quelques événements par année, sur une période de 10 ans. On parle d’une somme d’environ 50 millions par événement, ce qui permet à la WWE d’y amener des lutteurs tels que Goldberg, qui demande un plus gros salaire, ou de sortir de la retraite un Shawn Michaels pour une somme faramineuse.

L’Arabie saoudite faisait d’ailleurs partie de la liste d’acheteurs potentiels lorsque la nouvelle du retour de McMahon et d’une possible vente est sortie. Bien que Comcast, qui est propriétaire de NBC et qui dépense des milliards pour le contenu de la WWE, était vue comme la favorite, l’argent du prince Mohammed bin Salman peut réussir à convaincre les plus purs. Imaginez ceux qui ne le sont pas.

Rappelons que Vince McMahon, par l’entremise de sa compagnie Titan Sports Inc., a acheté la compagnie de son père et de ses associés, Capitol Wrestling Corporation, le 5 juin 1982, pour la somme de 1,6 million de dollars. Le 19 octobre 1999, la compagnie, renommée World Wrestling Federation Entertainment Inc., devenait publique, cotée à la bourse, avec une émission initiale d’actions d’une valeur de 172,5 millions et un prix de 17$ l’action. Finalement, le 5 mai 2002, la compagnie changeait de nom pour une dernière fois, devenant la World Wrestling Entertainment Inc.

Au moment d’écrire ces lignes, l’action de la WWE se négocie à 90,24$ et son évaluation boursière est à 6,7 milliards de dollars américains, soit plus de 4000 fois le montant payé par McMahon il y a 40 ans ou un retour sur l’investissement de 418 000%! Bien qu’on ne saura peut-être jamais le montant total, je ne serais pas surpris que l’offre soit de l’ordre de 7 à 10 milliards de dollars, soit entre 5% et 50% de plus que la valeur actuelle.

On parle d’un gouvernement qui, par le mois de mars 2021, avait dépensé plus d’un milliard et demie de dollars dans du blanchiment par le sport. On parle d’un gouvernement qui va dépenser plus de deux milliards au cours des prochaines années pour sa ligue de golf, LIV, qui fait compétition à la PGA. On parle d’un gouvernement qui va payer le joueur de soccer Cristiano Ronaldo 200 millions de dollars par année pour jouer avec le club saoudien d’Al-Nassr.

Si tel est le cas, le prix sera indécent.

Le retour de McMahon et d’autres changements à prévoir?

La possible vente à des intérêts saoudiens viendra aussi avec de possibles changements dans l’organigramme de la WWE.

Premièrement, la compagnie ne sera plus publique, mais bien privée. Il ne devrait plus y avoir de conseil d’administration et la compagnie ne sera plus obligée de dévoiler ses états financiers. D’ailleurs, en ce sens, si la transaction est déjà bouclée,une annonce devra être faite sous peu, question que l’action de la WWE arrête de se vendre.

Quel sera le rôle de Vince McMahon, lui qui est en ce moment le président du C.A.? Est-ce que Vince McMahon reviendra comme PDG ou à la tête de l’équipe créative? Est-ce qu’il s’est négocié une clause lui permettant de revenir dans ses anciens rôles?

On suggère que oui. Le but de McMahon en vendant la compagnie serait de revenir à la tête de la WWE et il aurait trouvé un acheteur prêt à le faire. Encore une fois, la relation d’affaires entre les deux parties viendrait expliquer le choix de l’acheteur.

Qu’adviendra-t-il de Paul Levesque, qui vient de voir sa conjointe quitter la compagnie familiale? Son rôle sera certes influencé par celui qu’occupera McMahon.

Le seul côté positif est que d’habitude, le gouvernement saoudien laisse la personne à la tête de la compagnie gérer le tout comme il le pense, pourvu que l’argent continue de s’empiler. Il serait surprenant qu’il interfère au niveau créatif par exemple. C’est donc positif si Levesque demeure en poste. Moins positif si c’est McMahon.

Mais au-delà des postes clés, qu’en est-il du personnel féminin qui travaille présentement pour la compagnie, autant dans les bureaux, qu’en arrière-scène, que devant les caméras? Quelles seront leurs conditions de travail? Et est-ce que certaines d’entre elles refuseront de travailler pour un tel employeur?

Et même si l’Arabie saoudite permet maintenant que des lutteuses fassent partie des spectacles présentés sur son territoire, elles doivent être couvertes de la tête au pied. Est-ce qu’il y aura du mécontentement de la part de celles-ci et ultimement, des départs?

La même question se pose pour les lutteurs. Mis à part le traitement qu’on donne aux femmes, il s’agit aussi d’un gouvernement qui a assassiné le journaliste Jamal Khashoggi pour l’avoir ouvertement critiqué.

On le sait, le Québécois Kevin Owens a toujours refusé d’y lutter. L’autre Québécois Sami Zayn, d’origine syrienne, un pays qui ne s’entend pas du tout avec l’Arabie saoudite, n’y est pas le bienvenu. Est-ce qu’ils voudront travailler pour le gouvernement saoudien? Et ils ne sont surement pas les seuls à se poser des questions existentielles en ce moment.

Même questionnement du côté des vedettes d’Hollywood associées à la WWE telles Dwayne « The Rock » Johnson et John Cena. Ce dernier n’y est pas retourné depuis l’assassinat de Khashoggi. Même chose également du côté des stations de télévision. Est-ce que NBC et FOX voudront avoir sur leur chaîne un produit 100% saoudien?

Bref, tant que l’annonce ne sera pas officielle, nous n’aurons pas réponse à ces questions. Mais on est certes en train de vivre la nouvelle de l’année, si ce n’est pas la nouvelle de la décennie ou du siècle dans le monde de la lutte professionnelle.

Une carrière de 25 ans pour Stephanie McMahon

Reléguant presque la seule nouvelle confirmée de la soirée au deuxième rang, la possible vente de la WWE a fait de l’ombre au départ de Stephanie McMahon.

Pourtant, la fille de Vince et de Linda a connu une carrière de 25 ans avec la WWE, elle qui a débuté à temps plein avec la compagnie en 1998. Elle a occupé plusieurs rôles en arrière-scène comme devant les caméras.

Au petit écran, on l’a d’abord connu dans l’histoire où elle s’était fait enlever par l’Undertaker. Puis, elle a joué le rôle de la future épouse du lutteur canadien Test. Mais un mariage ne peut jamais se dérouler comme il se doit à la lutte et durant la cérémonie, une vidéo nous a montré Hunter Hurst Helmsley, à Las Vegas, se mariant avec l’héritière alors que celle-ci n’en avait pas conscience. Quelques semaines plus tard, elle se tournait contre son père et devenait une détestée de la foule.

C’était le début de l’ère McMahon-Helmsley. Au même moment, elle débutait une vraie relation amoureuse avec celui qui personnifie Triple H, Paul Levesque.

Excellente au micro, munie d’une forte personnalité et d’un solide charisme, Stephanie a par la suite occupé plusieurs rôles, dans plusieurs histoires : un triangle amoureux avec Kurt Angle, l’invasion de la WCW et de l’ECW, directrice générale de SmackDown et plus récemment, elle faisait partie de l’Autorité avec Triple H et a été la commissaire de Raw. Une carrière comme talent interrompue à trois reprises pour la naissance de ses enfants.

La princesse de la WWE a aussi une vingtaine de matchs à son actif, remportant même le titre Divas en 2000. Son dernier match a eu lieu à WrestleMania 34, à La Nouvelle-Orléans, en équipe avec Hunter face à Angle et Ronda Rousey.

Toute une réputation dans le monde des affaires

Mais c’est surtout en arrière-scène qu’elle s’est épanouie professionnellement.

Après avoir travaillé au niveau de la production télévisuelle, Stephanie devenait la scriptrice en chef de la WWE en novembre 2000. Puis, elle a été promue au poste de directrice de l’équipe créative puis vice-présidente directrice. En 2013, elle était promue au poste de cheffe de la gestion de la marque, tâche qu’elle occupait au moment de prendre un congé sans solde en mai 2022. Mais le départ de son père en juillet l’a ramené au sein de la compagnie, cette fois-ci comme co-PDG et présidente du conseil d’administration.

Si ses années à la tête de l’équipe créative ne sont pas reconnues comme des années glorieuses pour la WWE, le travail de Stephanie comme VP et cheffe de la gestion de la marque a été salué à plusieurs reprises.

Elle était le visage de la compagnie dans le monde des affaires depuis quelques années et a reçu plusieurs honneurs, dont celui d’être la femme la plus influente à la télévision câblée à quatre reprises. Elle a aussi fait partie des femmes d’affaires de moins de 40 ans les plus en vue, en plus d’être nommée au deuxième rang des plus importantes cheffes de la gestion de la marque par la réputée publication Forbes.

Après avoir vu les succès de Ronda Rousey en arts martiaux mixtes, elle a aussi supervisé l’ascension de la division féminine au sein de la WWE.

Stephanie McMahon était respectée du milieu des affaires, respectée à l’interne, autant par le personnel administratif que par les lutteurs et lutteuses, et son départ sera une lourde perte pour la WWE.