NFL: le rugbyman qui ne rêvait pas du Super Bowl

Lorsque les Eagles ont gagné le Super Bowl il y a cinq ans, Jordan Mailata se trouvait bien loin du défilé déjanté des champions à Philadelphie. Sa carrière au rugby venait de prendre fin en Australie, il n’avait aucune connaissance en football et c’est avec un boulot d’aide-menuisier qu’il bouclait ses fins de mois.

Cinq ans plus tard, on pourrait croire qu’il y a erreur sur la personne. Mailata est non seulement au Super Bowl 57 en Arizona avec les Eagles, mais il occupe le poste critique de bloqueur à gauche partant.

Il est responsable de protéger l’angle mort du quart-arrière étoile Jalen Hurts et d’ouvrir des brèches au sol. C’est en regardant le film «The Blind Side» sur la vie de l’ancien bloqueur Michael Oher qu’il s’est dit que le football américain pourrait devenir une option pour gagner sa croûte.

Voilà qu’à son tour, son improbable parcours pourrait être tout désigné pour une histoire à la Disney.

«Si quelqu’un m’avait dit que je serais ici un jour, je lui aurais demandé ce qu’il fumait parce que j’en aurais pris aussi», a lancé Mailata, fort volubile et généreux avec les médias captivés par son histoire.

Changement spectaculaire

Comment la montagne de 6 pi 8 po et 365 livres a pu transformer sa vie ? En 2017, c’est avec le club des moins de 20 ans Rabbitohs de South Sydney qu’il espérait percer, dans la Ligue nationale de rugby. Un contrat d’un an pour 5000 $ lui a été offert pour évoluer avec le club de réserve à North Sydney.

Le personnel d’entraîneurs n’a toutefois pas retenu ses services. Son agence, qui avait quelques contacts avec la NFL, l’a invité à s’inscrire au programme international de la ligue, ce qui lui a valu une invitation à un camp d’évaluation à Tampa, en mars 2018.

Sa performance est tombée dans l’œil de l’entraîneur de la ligne offensive des Eagles, Jeff Stoutland. Un mois plus tard, les Eagles en faisaient leur choix de septième ronde, le 233e au total au repêchage.

«Le plus dur a été… tout! C’est un sport complètement différent, une technique complètement différente, une terminologie complètement différente. C’est probablement l’un des sports les plus durs à apprendre.»

«Il m’a fallu trois ans avant de me sentir vraiment à l’aise. Le plus gros livre que j’ai lu de ma vie est notre cahier de jeux!» s’est-il fièrement esclaffé.

C’est quoi, le Super Bowl?

En grandissant, l’Australien n’a donc jamais rêvé au Super Bowl. La seule idée de faire le saut aux États-Unis pour cogner à la porte de la NFL à 20 ans, en 2018, lui donnait le vertige.

«Le peu que je comprenais du Super Bowl, c’était les touchés. Sinon, le reste était un mystère. Je me souviens d’un Super Bowl entre les Falcons et les Patriots. J’avais dû arrêter pour me rendre à ma pratique de rugby et quand la pratique a fini, je ne comprenais pas que l’équipe qui avait une grosse avance avait finalement perdu», a-t-il raconté en évoquant le triste sort des Falcons, qui avaient échappé une avance de 28-3 au troisième quart.

«Je ne peux même pas parler d’un rêve. Je regarde mes coéquipiers qui pratiquaient ce sport depuis l’enfance. Eux, ils rêvaient de Super Bowl. J’ai commencé à jouer il y a cinq ans.»

Efforts récompensés

Après trois saisons marquées par l’apprentissage et les blessures, Mailata a vu de l’action en 2020 et s’est rapidement imposé.

À l’aube de la saison 2021, les Eagles ont vu en lui l’une des pierres angulaires de leur formation. Traduction libre : un contrat de quatre ans pour 64 millions $, dont 40,9 garantis.

«On dit souvent qu’il faut d’abord tremper son orteil dans l’eau pour s’habituer. Dans mon cas, il fallait couler d’un coup et ensuite apprendre à nager. Je suis fier de ce que j’ai accompli jusqu’ici. Une victoire au Super Bowl serait une bonne suite», a réfléchi l’inspirant colosse.

Des talents cachés de chanteur

En plus d’avoir étonné par ses aptitudes de chanteur à l’émission The Masked Singer, Jordan Mailata a convaincu ses coéquipiers de lancer un album spécial de Noël.

Mailata a développé au fil des années ce talent d’abord caché, puis exposé au grand jour dans le cadre de l’émission américaine «The Masked Singer», en mars dernier.

Puis, avec ses coéquipiers de la ligne offensive Lane Johnson et Jason Kelce, l’idée d’un disque de Noël a germé par la suite, un peu à la blague.

Les trois compères, en compagnie de l’ex-secondeur Connor Barwin, ont finalement profité de temps libres pour enregistrer l’album «A Philly Special Christmas», qui a fait fureur.

Recettes monstres

En effet, des recettes de 250 000 $ ont déjà été remises à un organisme de Philadelphie qui vient en aide à des enfants aux prises avec des problèmes de santé mentale.

Depuis, des rééditions de l’album se sont vendues comme des petits pains chauds, si bien que 1,25 million $ seront remis à différents organismes de charité.

«Pour moi, chanter, c’est naturel. De voir chanter mes coéquipiers, eux qui sont des novices, c’était hilarant. Ils ont dit que c’était plus dur que le football», a rigolé Mailata en évoquant ce succès fumant à Philadelphie.

Des liens forts

Si la cause était noble, l’exercice a aussi permis aux trois monstres dominants de la ligne à l’attaque des Eagles de dévoiler un autre côté de leur personnalité.

«Ça nous a permis de démontrer qu’il y a plusieurs couches à un individu. Nous sommes des athlètes, mais nous avons d’autres talents. C’est dans un tel contexte qu’on voit la vraie nature des individus autour de soi. Cet album nous a vraiment rapprochés, je l’ai vraiment senti», s’est réjoui le joueur de 25 ans.

Que ce soit pour sa progression phénoménale sur le terrain ou pour les liens qu’il a tissés avec ses coéquipiers en peu de temps, l’entraîneur de la ligne offensive Jeff Stoutland se réjouit quant à lui d’avoir déniché une perle rare.

«Dès que je l’ai vu s’entraîner, je savais qu’il avait tous les traits qu’on recherchait. Je suis fier que personne d’autre ne l’ait remarqué. Il a tellement travaillé pour apprendre. Tout ça était étranger pour lui et c’est une histoire incroyable», s’est-il extasié.