Zarinoff Leboeuf, une carrière et une vie enfin démasquées – TVA Sports
La carrière et la vie de Zarinoff Leboeuf comportaient, jusqu’à aujourd’hui, plusieurs trous qui laissaient certaines questions sans réponses.
C’est que son interprète, Réjean Gagnon, décédé le 17 mai dernier à l’âge de 82 ans, a toujours été quelqu’un d’assez privé. D’ailleurs, son décès n’a été connu que lorsqu’un de ses cousins a communiqué avec moi le 17 juin dernier.
Il ne donnait pas de grandes entrevues. Il n’avait pas gardé beaucoup d’amis provenant du monde de la lutte. Et il a longtemps habité aux États-Unis. Il est un des rares lutteurs des années 1970 et 1980 à qui Bertrand Hébert et moi n’avons jamais été capables de parler.
En fait, il y avait tellement peu d’informations sur lui que lorsqu’on a écrit notre livre sur l’histoire de la lutte au Québec, on croyait – et personne ne nous avait contredit – que son vrai nom était Pierre Lafleur. Gagnon était au courant que plusieurs croyaient que son nom de famille était Lafleur.
« On ne comprenait pas d’où ça venait, m’a précisé sa conjointe et amie des 50 dernières années, Jocelyne Morissette, lorsque je l’ai rejoint au téléphone la semaine dernière. On ne savait juste pas pourquoi le nom Lafleur lui était attaché. »
C’est d’ailleurs Mme Morissette qui vient, pour la première fois, remplir les trous dans la vie et la carrière de Réjean Gagnon.
Réjean devient Zarinoff grâce à Mad Dog
Né le 1er mars 1941, à Fortierville (et non pas le 13 février 1939 à Montréal comme le laissent croire certains sites), un petit village de moins de 1 000 habitants, situé tout près de Bécancour, Gagnon déménage à Québec où il va ouvrir un gymnase. L’entraînement a toujours été important pour lui, et ce, jusqu’aux derniers moments de sa vie. Puis, au milieu des années 1960, il fait le grand saut vers Montréal, où il travaille comme préposé à l’hôpital Louis-H. Lafontaine.
C’est à Montréal, dans la fin vingtaine, qu’il débute sa carrière de lutteur.
« À 15 ans, il rêvait déjà de devenir lutteur, se souvient Mme Morissette. Il a commencé aux les Loisirs Saint-Jean Baptiste avec Pat Girard à la fin des années 1960. »
Comme bien des lutteurs de l’époque, il débute sous son vrai nom. Gagnon va faire au moins une apparition pour les As de la Lutte, au Forum de Montréal le 21 juin 1971, devant 8 354 spectateurs, alors qu’il perd contre Abdullah the Butcher. Puis, il passe l’été au Nouveau-Brunswick, où il se fait remarquer par nul autre que Maurice Vachon.
« C’est Maurice qui l’a fait venir à Lutte Grand Prix et qui lui a donné le nom de Zarinoff Leboeuf », précise Mme Morissette. Le tout est aussi confirmé par Gilles « The Fish » Poisson, le seul ami que Gagnon a conservé dans le monde de la lutte.
Il s’agit en effet d’un nom de lutteur qui ressemble à ceux que Maurice aimait donner!
Quelques mois auparavant, en mai 1971, Grand Prix venait tout juste de débuter son aventure et on cherchait le maximum de talent pouvant aider la compagnie. Toutefois, Réjean Gagnon de Fortierville, ce n’est pas très accrocheur. Cependant, Zarinoff Leboeuf de Russie, ça, c’est le genre de nom qu’on se souvient 50 ans plus tard.
De plus, les Canadiens français ont toujours fait de bons Russes, comme on peut en témoigner avec les Ivan Koloff (Oreal Perras) et Alexis Smirnoff (Michel Dubois).
Zarinoff Leboeuf et Gilles Poisson, une bonne équipe de méchants
Gagnon quitte donc son emploi à l’hôpital et fait ses débuts avec Grand Prix à l’automne 1971. Il est immédiatement mis en équipe avec Gilles « The Fish » Poisson.
« C’est Maurice qui me l’a présenté, en me disant que ce serait mon partenaire, explique Poisson. Zarinoff c’était russe, alors que Leboeuf, c’est que Maurice trouvait qu’il était amanché comme un bœuf! »
De plus, le nom Leboeuf lui donne un côté plus québécois. Toutefois, le nom Maxim Zarinoff Leboeuf sonne encore plus comme un gars de chez nous. D’après Mme Morissette, c’est Édouard Carpentier aux commentaires qui lui aurait ajouté le prénom de Maxim, très rapidement après les débuts de Gagnon avec l’organisation. Avec un nom comme Maxim Zarinoff Leboeuf, c’est comme si Zarinoff était devenu le surnom de Maxim Leboeuf. Plusieurs croiront d’ailleurs que son vrai nom était Maxime Gagnon.
Gagnon, qui est doté d’un excellent physique, et Poisson, reconnu pour être l’homme fort du Lac Saint-Jean, font alors une excellente paire de méchants, de heels comme on dit dans le milieu.
À la fin novembre 1971, ils remportent un tournoi éliminatoire à huit équipes afin d’affronter les champions en titre, Maurice et Paul, les frères Vachon. Ils perdent le match par disqualification, mais un match revanche est planifié la semaine suivante toujours à l’Auditorium de Verdun, un match de bûcherons cette fois-ci. Les Vachon en sortiront aussi vainqueurs.
Le mois suivant, ce sont les débuts de Grand Prix au Forum. Gagnon et Poisson sont aussi de la partie, en équipe avec Cowboy Kirk, face au trio composé de Nick de Carlo, Luigi Macera et Michele Barone. Au fil des mois, le duo affrontera les favoris de la foule tels que les frères Leduc, Gino Brito et Dino Bravo, Johnny War Eagle et Billy Two Rivers, ainsi que le Géant Ferré et Yvon Robert Jr.
Lors du « combat du siècle » le 31 mai 1972, alors que plus de 16 000 personnes étaient au Forum de Montréal pour le match entre le Géant Ferré et Don Leo Jonathan, Poisson et Gagnon ont affronté les champions par équipe de Grand Prix, les Poudrés d’Hollywood, dans un rare match entre deux équipes heels.
La vie de saltimbanque débute
En septembre et octobre 1972, Gagnon travaille pour la IWE au Japon, organisation qui a accueilli de nombreux Québécois au fil des années. C’est sous le nom de Buffalo Zarinoff qu’il affronte le Great Kusatsu et Strong Kobayashi, faisant même équipe avec Billy Robinson.
Après Grand Prix, il retourne au Nouveau-Brunswick dans une rivalité avec Don Leo Jonathan. Il s’aligne brièvement avec les As de la Lutte avant de quitter vers Vancouver. En Colombie-Britannique, il n’utilise pas le nom de Zarinoff, mais bien celui d’Ivan Zarnoff, nom qu’il utilisera aussi en Oregon.
C’est en 1975 qu’il reçoit un appel d’un compatriote, Robert Bédard, mieux connu sous le nom de René Goulet. Ce dernier luttait à Indianapolis avec Don Fargo dans une équipe appelée les Légionnaires, une idée du promoteur Dick the Bruiser. Mais les choses se sont gâtées entre Goulet et Fargo.
« Il avait frappé ma voiture avec la sienne, pour aucune raison. Je l’avais poursuivi en char, je flashais mes lumières pour qu’il arrête. On a tous les deux débarqué de nos autos. Je t’épargne les détails. Mais le pire c’est que je n’étais pas assuré. J’te le dis, un vrai fou! C’est là que j’ai amené Leboeuf », m’avait raconté Goulet.
Les deux Québécois jouaient donc des légionnaires français : Private Leboeuf et Sergent Goulet. Leboeuf aura aussi différents grades, comme celui de sergent et de soldat. Ils deviendront champions par équipe de la WWA et auront entre autres une rivalité avec Bruiser et The Crusher, contre qui ils perdront les titres le 20 septembre 1975.
Lorsque Goulet quitte pour les Carolines, Gagnon amène le personnage de légionnaire à San Francisco et dans l’Oregon. Puis en 1977, au Tennessee, il redevient Russe, s’appelant cette fois-ci The Russian Stomper. Il remporte le titre NWA Mid-America, avant d’aller travailler dans les Carolines.
Champion par équipe de la WWE
En mars 1978, Gagnon reçoit un appel que plusieurs lutteurs veulent recevoir, soit celui de New York, le territoire de Vince McMahon Sr.
Nouveau territoire, nouveau personnage.
Il laisse la Russie de côté pour devenir un bûcheron, en équipe avec un gars du Minnesota, Scott Irwin. Appelés respectivement Pierre et Eric, Gagnon et Irwin lutteront sous le nom des Yukon Lumberjacks, leurs personnages étant ceux de bûcherons canadiens, avec la chemise à carreaux, la barbe et les cheveux échevelés.
Géré par nul autre que Capitaine Lou Albano, ils seront rapidement mis dans une rivalité avec Dino Bravo et Dominic Denucci, les champions par équipe de la WWWF (aujourd’hui WWE). Le 26 juin 1978, au réputé Madison Square Garden de New York, les Lumberjacks défont Bravo et Denucci pour ainsi remporter les titres, une consécration pour Gagnon.
« C’est ce qu’il a été le plus fier de sa carrière, précise Mme Morissette. Son temps à New York, c’était sa grande fierté! »
Ils ont défendu les titres plus de 60 fois, principalement contre Tony Garea et un partenaire, tels que Gorilla Monsoon, Ivan Putski, Bobo Brazil, Bob Backlund et Haystacks Calhoun. C’est finalement avec Larry Zbyszko que Garea réussira à remporter les titres, le 21 novembre 1978.
De retour à Montréal
Par le début de l’année 1979, le séjour de Gagnon avec l’écurie McMahon tirait à sa fin, mais pas avant un combat en simple, au Madison Square Garden, contre Dusty Rhodes. C’est la même année qu’il revient à Montréal, pour la promotion de Jack Britton, le père de Gino Brito. Approchant la quarantaine, il y luttera sporadiquement, soit pour Britton ou ensuite lorsque Brito débutera les Promotions Varoussac.
En 1982, on le ramène pour une rivalité avec le champion Dino Bravo, qui se terminera avec un combat de la chaîne russe.
Gagnon est alors géré par l’illustre Eddy Creatchman et ce dernier y était allé d’une autre de ses entrevues marquantes :
« Il va t’assommer, pis là y va t’traîner, des 4 coins de l’arène! Comme un rat, comme un sale, comme un pourri, comme que t’es Bravo! »
Du Creatchman à son meilleur!
Le combat est présenté à l’Auditorium de Verdun, alors que les journaux mentionnent que la Commission athlétique de Montréal ne veut pas de ce combat sur son territoire. Il y a fort à parier que le centre Paul-Sauvé n’était juste pas disponible ce soir-là.
« Les résultats n’avaient pas été publiés le lendemain dans le Journal de Montréal, raconte Bertrand Hébert, alors mon père avait appelé au centre Paul-Sauvé et on lui avait dit que Dino avait gagné! »
On reprendra le match un peu partout en province par la suite. Zarinoff continuera pour Varoussac avec des combats face à Rick Martel, Bob Backlund et on recréera même son équipe avec Gilles Poisson.
Fin de carrière éclaboussée par une altercation avec Raymond Rougeau
Toutefois, la carrière de Gagnon allait se terminer d’une drôle de façon.
Le tout débute le 9 août 1982, alors que devant près de 5 000 spectateurs au centre Paul-Sauvé, Zarinoff se fait battre par le troisième frère Rougeau, Armand, qui vient tout juste de commencer sa carrière.
Perdre contre un lutteur recrue ne fait pas l’affaire de Gagnon.
Un mois plus tard, le 10 septembre à Rimouski, Gagnon est censé perdre une fois de plus contre Armand. Insatisfait de son utilisation, Gagnon décide de prendre des libertés durant le match et malmène Armand, qui ne savait pas vraiment comment se défendre. Voir son frère revenir dans les vestiaires dans un piteux état soulève l’ire chez Raymond Rougeau, qui veut maintenant venger son frère.
« Zarinoff, c’était une barre de fer, il n’était pas le plus agile, se souvient le lutteur Sunny War Cloud. Il avait stiffé Armand d’aplomb, le match c’était terminé par une disqualification. »
Raymond le cherche partout en ville, mais en vain. Le lendemain, ils sont au Nouveau-Brunswick, mais Gagnon arrive à la dernière minute et Raymond n’a pu le confronter. Le surlendemain, au Palais des Sports de Saint-Georges, devant 1 500 amateurs, Raymond doit lutter en demi-finale contre Pat Patterson tandis que Zarinoff doit affronter Louis Laurence. Mais ce dernier ne peut se présenter. Raymond demande à Gino Brito de le laisser affronter Gagnon, en plus de faire la demi-finale, ne lui demandant même pas d’être rémunéré deux fois.
C’était rendu personnel pour lui.
Même si Gagnon, avec son physique impressionnant, avait la réputation d’être un vrai bagarreur de rue (il se battait souvent dans les bars), Raymond lui donna une volée dont il allait se rappeler longtemps. Les coups de poing étaient des vrais. À entendre les commentaires sur ce match, il s’agissait plus d’un combat d’arts martiaux mixtes que de lutte, qui n’était pas fait pour nécessairement plaire à la foule. Après cinq minutes, Gagnon, qui commençait à être à bout de souffle, est sorti de l’arène, prenant une chaise pour se défendre. Raymond en prend une à son tour. Et c’est à ce moment que Gagnon décide de prendre ses jambes à son cou et de s’enfuir dans les vestiaires.
Raymond lui lance sa chaise, mais Gagnon est trop loin. Il prend ses effets personnels et quitte immédiatement l’aréna.
Trois jours plus tard, le journaliste de L’Éclaireur-Progrès résume ce qu’il a vu.
« Auparavant, Raymond Rougeau a vaincu Zarinoff Leboeuf dans un combat à coups de poing. Ce combat était pour le moins bizarre et a laissé bien des gens dans le doute, car Rougeau semblait enragé et a frappé Leboeuf d’une solide droite à la mâchoire. Leboeuf a tout simplement abandonné le combat. »
Zarinoff devait lutter le lendemain, mais ne s’est jamais présenté.
« On ne l’a plus jamais revu près dans une arène de lutte », se souvient Raymond Rougeau. Gino Brito Sr le confirme. « Raymond lui a donné une volée et j’ai pu jamais revu Leboeuf après ça! C’est sa femme qui est venue chercher sa dernière paye! »
D’ailleurs, plus aucune trace de Zarinoff Leboeuf, ou l’un de ses nombreux noms de guerre n’est trouvable parmi les journaux de l’époque et les archives d’historiens chevronnés. Sa carrière était terminée.
Une fin de vie difficile
Gagnon se lance donc en affaires et déménage aux États-Unis. Il va y fonder une compagnie de protéine appelée Athlete Power.
« Le gym de Jonquière achetait des produits de lui en 1983 et 1984 », se souvient Sunny War Cloud.
Détestant l’hiver, Gagnon va surtout demeurer à Haledon, dans le New Jersey et à Hendersonville, au Tennessee, où il travaille comme conseiller en hypothèque.
« Il revenait dans le temps des fêtes et une ou deux autres fois par année, raconte Mme Morissette. Il passait six mois par année aux États-Unis, six mois par année au Québec. Mais il n’était pas de nature sociable, alors Gilles Poisson était le seul avec qui il a gardé contact. »
Mais la maladie finit par frapper.
« Il a reçu un diagnostic de mélanomes dans le dos en 2016, explique Mme Morissette. Il a subi une opération aux États-Unis, mais ensuite, il a eu des métastases au cerveau. Il a eu des traitements et des médicaments, mais ça lui donnait beaucoup d’effets secondaires, au point qu’il n’était plus capable de marcher. Il a passé les quatre dernières années de sa vie ici, à Boucherville. En avril dernier, il a été admis aux soins palliatifs et il a demandé l’aide médicale à mourir. Mais entre-temps, il est tombé dans le coma. Ils ont pu quand même lui procurer l’aide médicale, même s’il n’a pu choisir la date et l’heure de son décès. »
L’entraînement ayant été sa vie, il n’est pas surprenant d’apprendre qu’il continuait à se mettre en forme physique jusqu’à la toute fin de sa vie.
« Il a tout le temps continué à s’entraîner, précise Mme Morissette. Sauf à la toute fin. Son apparence physique était très importante. Encore l’année passée, il allait au gym. »
En plus de Mme Morissette, Réjean Gagnon laisse dans le deuil ses deux filles Suzan Parler et Josée Gagnon, trois petits-enfants, une arrière-petite-fille, ainsi que son frère et ses deux sœurs.